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— Un dernier mot, bonhomme : tu sais que je tiens dans ma main ta fortune et ta vie ?

— Je le sais.

— Cela suffit ; va, je m’occuperai des chevaux pendant ce temps.

— Ne vous hâtez pas trop.

— Bah ! je suis sûr de la réponse ; est-ce que les princes trouvent des cruelles ?

— Il me semblait que cela arrivait quelquefois.

— Oui, dit Aurilly, mais c’est chose rare ; allez.

Et tandis que Remy remontait, Aurilly, comme s’il eût été certain de l’accomplissement de ses espérances, se dirigeait réellement vers l’écurie.

— Eh bien ? demanda Diane en apercevant Remy.

— Eh bien, Madame, le duc vous a vue.

— Et ?…

— Et il vous aime.

— Le duc m’a vue ! le duc m’aime ! s’écria Diane ; mais tu es en délire, Remy ?

— Non ; je vous dis ce qu’il m’a dit.

— Et qui t’a dit cela ?

— Cet homme ! cet Aurilly ! cet infâme !

— Mais s’il m’a vue, il m’a reconnue, alors ?

— Si le duc vous eût reconnue, croyez-vous qu’Aurilly oserait se présenter devant vous et vous parler d’amour au nom du prince ? Non, le duc ne vous a pas reconnue.

— Tu as raison, mille fois raison, Remy. Tant de choses ont passé depuis six ans dans cet esprit infernal, qu’il m’a oubliée. Suivons cet homme, Remy.

— Oui, mais cet homme vous reconnaîtra, lui.

— Pourquoi veux-tu qu’il ait plus de mémoire que son maître ?

— Oh ! parce que son intérêt, à lui, est de se souvenir, tandis que l’intérêt du prince est d’oublier ; que le duc oublie, lui, le sinistre débauché, l’aveugle, le blasé, l’assassin