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par les paroles du prince, vous voyez comme Monseigneur est affecté, ne faites donc point attention à ses paroles : depuis le malheur qui lui est arrivé, je crois qu’il a vraiment des instants de délire.

— Et voilà, dit le prince en vidant son verre, comment Saint-Aignan est mort et comment je vis ; au reste, en mourant, il m’a rendu un dernier service : il a fait croire, comme il montait mon cheval, que c’était moi qui étais mort ; de sorte que ce bruit s’est répandu non-seulement dans l’armée française, mais encore dans l’armée flamande, qui alors s’est ralentie à ma poursuite ; mais rassurez-vous, Messieurs, nos bons Flamands ne porteront pas la chose en paradis ; nous aurons une revanche, Messieurs, et sanglante même, et je me compose depuis hier, mentalement du moins, la plus formidable armée qui ait jamais existé.

— En attendant, Monseigneur, dit Henri, Votre Altesse va prendre le commandement de mes hommes ; il ne m’appartient plus à moi, simple gentilhomme, de donner un seul ordre là où est un fils de France.

— Soit, dit le prince, et je commence par ordonner à tout le monde de souper, et à vous particulièrement, monsieur du Bouchage, car vous n’avez pas même approché de votre assiette.

— Monseigneur, je n’ai pas faim.

— En ce cas, du Bouchage, mon ami, retournez visiter les postes. Annoncez aux chefs que je vis, mais priez-les de ne pas s’en réjouir trop hautement, avant que nous ayons gagné une meilleure citadelle ou rejoint le corps d’armée de notre invincible Joyeuse, car je vous avoue que je me soucie moins que jamais d’être pris, maintenant que j’ai échappé au feu et à l’eau.

— Monseigneur, Votre Altesse sera obéie rigoureusement, et nul ne saura, excepté ces Messieurs, qu’elle nous fait l’honneur de demeurer parmi nous.

— Et ces Messieurs me garderont le secret ? demanda le duc.