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— Son nom ?

— Il a refusé de me le dire.

— Jeune ?… vieux ?

— Il peut avoir de vingt-huit à trente ans…

— Voyons, après ?… Elle n’est pas restée toute la nuit à prier et à pleurer, n’est-ce pas ?

— Non ; quand elle eut fini de pleurer, c’est-à-dire quand elle eut épuisé ses larmes, quand elle eut usé ses lèvres sur le banc, elle se leva, mon frère ; il y avait dans cette femme un tel mystère de tristesse, qu’au lieu de m’avancer vers elle, comme j’eusse fait pour toute autre femme, je me reculai ; ce fut alors elle qui vint à moi ou plutôt de mon côté, car, moi, elle ne me voyait même pas. Alors un rayon de la lune frappa son visage, et son visage m’apparut illuminé, splendide : il avait repris sa morne sévérité ; plus une contraction, plus un tressaillement, plus de pleurs ; seulement, le sillon humide qu’ils avaient tracé. Ses yeux seuls brillaient encore ; sa bouche s’entr’ouvrait doucement pour respirer la vie qui, un instant, avait paru prête à l’abandonner. Elle fit quelques pas avec une molle langueur, et pareille à ceux qui marchent en rêve ; l’homme alors courut à elle et la guida, car elle semblait avoir oublié qu’elle marchait sur la terre. Oh ! mon frère, quelle effrayante beauté, quelle surhumaine puissance ! Je n’ai jamais rien vu qui lui ressemblât sur la terre ; quelquefois seulement dans mes rêves, quand le ciel s’ouvrait, il en était descendu des visions pareilles à cette réalité.

— Après, Henri, après ? demanda Anne, prenant malgré lui intérêt à ce récit dont il avait d’abord eu l’intention de rire.

— Oh ! voilà qui est bientôt fini, mon frère : son serviteur lui dit quelques mots tout bas, et alors elle baissa son voile. Il lui disait que j’étais là sans doute, mais elle ne regarda même pas de mon côté ; elle baissa son voile, et je ne la vis plus, mon frère. Il me sembla que le ciel venait de s’obs-