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chirait un nuage blanchâtre derrière le clocheton de l’église, et les vitraux commençaient à s’argenter à leur faîte, tandis qu’ils se doraient en bas du reflet des cierges allumés. Mon ami, soit majesté du lieu, soit dignité personnelle, cette femme à genoux resplendissait pour moi dans les ténèbres comme une statue de marbre et comme si elle eût été de marbre réellement. Elle m’imprima je ne sais quel respect qui me fit froid au cœur.

Je la regardais avidement.

Elle se courba sur le banc, l’enveloppa de ses deux bras, y colla les lèvres, et aussitôt je vis ses épaules onduler sous l’effort de ses soupirs et de ses sanglots ; jamais vous n’avez ouï de pareils accents, mon frère ; jamais fer acéré n’a déchiré si douloureusement un cœur !

Tout en pleurant, elle baisait la pierre avec une ivresse qui m’a perdu ; ses larmes m’ont attendri, ses baisers m’ont rendu fou.

— Mais c’est elle, par le pape ! qui était folle, dit Joyeuse ; est-ce que l’on baise une pierre ainsi, est-ce que l’on sanglote ainsi pour rien ?

— Oh ! c’était une grande douleur qui la faisait sangloter, c’était un profond amour qui lui faisait baiser cette pierre ; seulement, qui aimait-elle ? qui pleurait-elle ? pour qui priait-elle ? je ne sais.

— Mais cet homme, tu ne l’as pas questionné ?

— Si fait.

— Et que t’a-t-il répondu ?

— Qu’elle avait perdu son mari.

— Est-ce qu’on pleure un mari de cette façon-là ? dit Joyeuse ; voilà, pardieu ! une belle réponse ; et tu t’en es contenté ?

— Il l’a bien fallu, puisqu’il n’a pas voulu m’en faire d’autre.

— Mais cet homme lui-même, quel est-il ?

— Une sorte de serviteur qui habite avec elle.