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une charmante douceur mêlée d’un certain respect pour son aîné.

— Moi, te questionner ? dit Anne, Dieu m’en préserve ! les secrets sont à ceux qui les gardent.

— Quand vous le désirerez, mon frère, répliqua Henri, je n’aurai pas de secrets pour vous ; vous le savez bien.

— Tu n’auras pas de secrets pour moi, Henri ?

— Jamais, mon frère ; n’êtes-vous pas à la fois mon seigneur et mon ami ?

— Dame ! je pensais que tu en avais avec moi, qui ne suis qu’un pauvre laïque ; je pensais que tu avais notre savant frère, ce pilier de la théologie, ce flambeau de la religion, ce docte architecte de cas de conscience de la cour, qui sera cardinal un jour, que tu te confiais à lui, et que tu trouvais en lui à la fois confession, absolution, et qui sait ?… et conseil ; car, dans notre famille, ajouta Anne en riant, on est bon à tout, tu le sais ; témoin notre très-cher père.

Henri du Bouchage saisit la main de son frère et la lui serra affectueusement.

— Vous êtes pour moi plus que directeur, plus que confesseur, plus que père, mon cher Anne, dit-il, je vous répète que vous êtes mon ami.

— Alors, mon ami, pourquoi, de gai que tu étais, t’ai-je vu peu à peu devenir triste, et pourquoi, au lieu de sortir le jour, ne sors-tu plus maintenant que la nuit ?

— Mon frère, je ne suis pas triste, répondit Henri en souriant.

— Qu’es-tu donc ?

— Je suis amoureux.

— Bon ! et cette préoccupation ?

— Vient de ce que je pense sans cesse à mon amour.

— Et tu soupires en me disant cela ?

— Oui.

— Tu soupires, toi, Henri, comte du Bouchage, toi le frère de Joyeuse, toi que les mauvaises langues appellent le troi-