Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/228

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je le crois.

— Il a répondu que l’appétence très-vive produit des effets pareils à ceux de la satisfaction.

— Oh ! oh ! fit Chicot ; en effet, c’est fort subtil, comme tu dis, ventre de biche ! C’est un homme très-fort que ton Borromée ; je ne m’étonne plus s’il a le nez et les lèvres si minces ; et cela t’a convaincu ?

— Tout à fait, et tu vas être convaincu toi-même ; mais voyons, approche-toi un peu de moi, car je ne me remue plus sans étourdissement.

Chicot s’approcha.

Gorenflot fit de sa large main un cornet acoustique qu’il appliqua sur l’oreille de Chicot.

— Eh bien ? demanda Chicot.

— Attends donc, je me résume. Vous souvenez-vous du temps où nous étions jeunes, Chicot ?

— Je m’en souviens.

— Du temps où le sang brûlait… où les désirs immodestes ?…

— Prieur ! prieur ! fit le chaste Chicot.

— C’est Borromée qui parle, et je maintiens qu’il a raison ; l’appétence ne produisait-elle point parfois les illusions de la réalité ?

Chicot se mit à rire si violemment que la table, avec toutes les bouteilles, trembla comme un plancher de navire.

— Bien, bien, dit-il, je vais me mettre à l’école de frère Borromée, et quand il m’aura bien pénétré de ses théories, je vous demanderai une grâce, mon révérend.

— Elle vous sera accordée, Chicot, comme tout ce que vous demanderez à votre ami. Maintenant, dites, quelle est cette grâce ?

— Vous me chargerez de l’économat du prieuré pendant huit jours seulement.

— Et que ferez-vous pendant ces huit jours ?