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— Je n’ai pas dit que je déjeunerais avec vous, d’abord.

— Pardon, je vous ai offert.

— Et j’ai répondu peut-être : peut-être ne veut pas dire oui.

— Vous vous fâchez ?

Chicot se mit à rire.

— Moi, me fâcher ! dit-il, et de quoi me fâcherais-je ? de ce que vous êtes impudent, ignare et grossier ? Oh ! cher seigneur prieur, je vous connais depuis trop longtemps pour me fâcher de vos petites imperfections.

Gorenflot, foudroyé par cette naïve sortie de son hôte, demeura la bouche ouverte et les bras étendus.

— Adieu, monsieur le prieur, continua Chicot.

— Oh ! ne partez pas.

— Mon voyage ne peut se retarder.

— Vous voyagez ?

— J’ai une mission.

— Et de qui ?

— Du roi.

Gorenflot roulait d’abîmes en abîmes.

— Une mission, dit-il, une mission du roi ! vous l’avez donc revu ?

— Sans doute.

— Et comment vous a-t-il reçu ?

— Avec enthousiasme ; il a de la mémoire, lui, tout roi qu’il est.

— Une mission du roi, balbutia Gorenflot, et moi impudent, moi ignare, moi grossier…

Son cœur se dégonflait à mesure, comme fait un ballon qui perd son vent par des piqûres d’aiguilles.

— Adieu ! répéta Chicot.

Gorenflot se souleva sur son fauteuil, et, de sa large main, arrêta le fugitif, qui, avouons-le, se laissa facilement violenter.

— Voyons, expliquons-nous, dit le prieur.

— Sur quoi ? demanda Chicot.