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L’autre était un jeune homme de dix-sept à dix-huit ans, aux yeux noirs et vifs, à la mine hardie, au menton saillant, de petite taille, mais bien prise, et qui, ayant retroussé ses larges manches, laissait voir avec une sorte d’orgueil deux bras nerveux prompts à gesticuler.

— Le prieur dort encore, frère Borromée, dit le plus jeune des deux moines à l’autre ; le réveillerons-nous ?

— Gardons-nous-en bien, frère Jacques, répliqua le trésorier.

— En vérité, c’est dommage d’avoir un prieur qui dorme si longtemps, reprit le jeune frère, car on aurait pu essayer les armes ce matin. Avez-vous remarqué quelles belles cuirasses et quelles belles arquebuses il y a dans le nombre ?

— Silence, mon frère ! vous allez être entendu.

— Quel malheur ! reprit le petit moine en frappant du pied un coup qui fut assourdi par l’épais tapis, quel malheur ! il fait si beau aujourd’hui, la cour est si sèche ! quel bel exercice on ferait, frère trésorier !

— Il faut attendre, mon enfant, dit frère Borromée avec une feinte soumission, démentie par le feu de ses regards.

— Mais que n’ordonnez-vous toujours que l’on distribue les armes ? répliqua impétueusement Jacques en relevant ses manches retombées.

— Moi, ordonner ?

— Oui, vous.

— Je ne commande pas, vous le savez bien, mon frère, reprit Borromée avec componction ; ne voilà-t-il pas le maître là !

— Sur ce fauteuil… endormi… quand tout le monde veille, dit Jacques d’un ton moins respectueux qu’impatient… le maître ?

Et un regard de superbe intelligence sembla vouloir pénétrer jusqu’au fond du cœur du frère Borromée.

— Respectons son rang et son sommeil, dit celui-ci en