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saillant, puis sur un coude-pied formant angle droit avec une jambe nerveuse, maigre et longue outre mesure.

— Que Dieu me protège ! s’écria Henri, c’est l’ombre de Chicot !

— Ah ! mon pauvre Henriquet, dit la voix, tu es donc toujours aussi niais ?

— Qu’est-ce à dire ?

— Les ombres ne parlent pas, imbécile, puisqu’elles n’ont pas de corps, et par conséquent pas de langue, reprit la figure assise dans le fauteuil.

— Tu es bien Chicot, alors ? s’écria le roi ivre de joie.

— Je ne veux rien décider à cet égard ; nous verrons plus tard ce que je suis, nous verrons.

— Comment ! tu n’es donc pas mort, mon pauvre Chicot ?

— Allons, bon ! voilà que tu cries comme un aigle ; si fait, au contraire, je suis mort, cent fois mort !

— Chicot, mon seul ami !

— Au moins tu as cet avantage sur moi, de dire toujours la même chose. Tu n’es pas changé, peste !

— Mais toi, toi, dit tristement le roi, es-tu changé, Chicot ?

— Je l’espère bien.

— Chicot, mon ami, dit le roi en posant ses deux pieds sur le parquet, pourquoi m’as-tu quitté, dis ?

— Parce que je suis mort.

— Mais tu disais tout à l’heure que tu ne l’étais pas ?

— Et je le répète.

— Que veut dire cette contradiction ?

— Cette contradiction veut dire, Henri, que je suis mort pour les uns et vivant pour les autres.

— Et pour moi, qu’es-tu ?

— Pour toi je suis mort.

— Pourquoi mort pour moi ?

— C’est facile à comprendre ; écoute bien.

— Oui.