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peut-être ; car en vérité, d’Épernon, la mine n’est pas appétissante.

— Sire, je sais bien qu’ils sont un peu maigris et hâlés par le soleil qu’il fait dans nos provinces du sud, mais j’étais maigre et hâlé comme eux lorsque je vins à Paris : ils engraisseront et blanchiront comme moi.

— Hum ! fit Henri en jetant un regard oblique sur d’Épernon.

Puis, après une pause :

— Sais-tu qu’ils ronflent comme des chantres, tes gentilshommes ? dit le roi.

— Sire, il ne faut pas les juger sur cet aperçu, ils ont très-bien dîné ce soir, voyez-vous.

— Tiens, en voici un qui rêve tout haut, dit le roi en tendant l’oreille avec curiosité.

— Vraiment ?

— Oui ; que dit-il donc ? écoute.

En effet, un des gentilshommes, la tête et les bras pendants hors du lit, la bouche demi-close, soupirait quelques mots avec un mélancolique sourire.

Le roi s’approcha de lui sur la pointe du pied.

— Si vous êtes une femme, disait-il, fuyez ! fuyez !

— Ah ! ah ! dit Henri, il est galant celui-là.

— Qu’en dites-vous, sire ?

— Son visage me revient assez.

D’Épernon approcha son flambeau de l’alcôve.

— Puis il a les mains blanches, et la barbe bien peignée.

— C’est le sire Ernauton de Carmainges, un joli garçon, et qui ira loin.

— Il a laissé là-bas quelque amour ébauché, pauvre diable !

— Pour n’avoir plus d’autre amour que celui de son roi, sire ; nous lui tiendrons compte du sacrifice.

— Oh ! oh ! voilà une bizarre figure qui vient après ton sire… comment donc l’appelles-tu déjà ?