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— Je suis perdu ! balbutia le marchand.

— Au contraire, vous êtes sauvé ; ventre de biche ! vous ne ferez jamais pour la bonne cause ce que j’ai intention de faire, moi.

Nicolas Poulain laissa échapper un gémissement.

— Voyons, voyons, du courage, dit Robert Briquet ; remettez-vous ; vous avez trouvé un frère, frère Briquet ; prenez une cuirasse, je prendrai les deux autres ; je vous fais cadeau de mes brassards, de mes cuissards et de mes gants par-dessus le marché ; allons, en route, et vive l’Union !

— Vous m’accompagnez ?

— Je vous aide à porter ces armes qui doivent vaincre les Philistins : montrez-moi la route, je vous suis.

Il y eut dans l’âme du malheureux lieutenant de la prévôté un éclair de soupçon bien naturel, mais qui s’évanouit aussitôt qu’il eut brillé.

— S’il voulait me perdre, se murmura-t-il à lui-même, eût-il avoué qu’il me connaissait ?

Puis tout haut :

— Allons, puisque vous le voulez absolument, venez avec moi, dit-il.

— À la vie, à la mort ! cria Robert Briquet en serrant d’une main la main de son allié, tandis que de l’autre il levait triomphalement en l’air sa charge de ferraille.

Tous deux se mirent en route.

Après vingt minutes de marche, Nicolas Poulain arriva dans le Marais ; il était tout en sueur, tant à cause de la rapidité de la marche que du feu de leur conversation politique.

— Quelle recrue j’ai faite ! murmura Nicolas Poulain en s’arrêtant à peu de distance de l’hôtel de Guise.

— Je me doutais que mon armure allait de ce côté, pensa Briquet.

— Ami, dit Nicolas Poulain en se retournant avec un geste tragique vers Briquet, tout confit en airs innocents,