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— On me payera mes coups, grommela Militor en montrant le poing à Carmainges.

— Servez, maître Fournichon, cria Loignac, et que chacun soit doux avec son voisin, si c’est possible. Il s’agit, à partir de ce moment, de s’aimer comme des frères.

— Hum ! fit Sainte-Maline.

— La charité est rare, dit Chalabre en étendant sa serviette sur son pourpoint gris de fer, de manière à ce que, quelle que fût l’abondance des sauces, il ne lui arrivât aucun accident.

— Et s’aimer de si près, c’est difficile, ajouta Ernauton : il est vrai que nous ne sommes pas ensemble pour longtemps.

— Voyez, s’écria Pincorney qui avait encore les railleries de Sainte-Maline sur le cœur, on se moque de moi parce que je n’ai point de chapeau, et l’on ne dit rien à M. de Montcrabeau, qui va dîner avec une cuirasse du temps de l’empereur Pertinax, dont il descend selon toute probabilité. Ce que c’est que la défensive !

Montcrabeau, piqué au jeu, se redressa, et avec une voix de fausset :

— Messieurs, dit-il, je l’ôte : avis à ceux qui aiment mieux me voir avec des armes offensives qu’avec des armes défensives.

Et il délaça majestueusement sa cuirasse en faisant signe à son laquais, gros grison d’une cinquantaine d’années, de s’approcher de lui.

— Allons, la paix ! la paix ! fit M. de Loignac, et mettons-nous à table.

— Débarrassez-moi de cette cuirasse, je vous prie, dit Pertinax à son laquais.

Le gros homme la lui prit des mains.

— Et moi, lui dit-il tout bas, ne vais-je point dîner aussi ? Fais-moi donc servir quelque chose, Pertinax, je meurs de faim.