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OTHON L’ARCHER

« Une nouvelle douleur vint se joindre à celle-ci : pendant les cinq ans qui s’étaient écoulés depuis le départ pour la croisade jusqu’à la mort de Godefroy, Béatrix avait grandi en beauté : c’était alors une gracieuse jeune fille de dix-neuf ans, et elle s’était aperçue que cet écuyer auquel elle avait été confiée n’était point insensible aux sentiments qu’elle inspirait à tous ceux qui s’approchaient d’elle. Cependant, tant qu’il lui était resté un défenseur, Gérard avait renfermé son amour en son âme. Mais, dès qu’il vit Béatrix orpheline et sans appui, il s’enhardit au point de lui déclarer qu’il l’aimait. Béatrix reçut cet aveu comme devait le recevoir la fille d’un prince ; mais Gérard, avant de jeter le masque, avait pris sa résolution : il répondit à la jeune fille qu’il lui accordait un an et un jour pour son deuil, mais que, passé ce temps, elle eût à se préparer à le recevoir pour époux.

« Une transformation complète s’était opérée : le serviteur parlait en maître. Béatrix était faible, isolée et sans défense : nul secours ne lui pouvait venir des hommes, elle se réfugia en Dieu, et Dieu lui envoya, sinon l’espérance, du moins la résignation. Quant à Gérard, il fit, le même jour, fermer les portes du château, et mit à chacune double garde, de peur que Béatrix ne tentât de s’échapper.

« Vous vous rappelez que Béatrix avait fait bâtir cette chapelle pour enfermer le rosaire miraculeux que lui