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OTHON L’ARCHER

Bertha ne répondit rien, mais sourit tristement.

L’effet de la liqueur fut magique, les yeux d’Hermann étincelèrent à leur tour, et, profitant de l’invitation de la châtelaine, il attaqua le souper avec un acharnement qui prouvait que ce n’était pas à un ingrat qu’il avait été offert, et qui pouvait excuser l’oubli où il était tombé en ne faisant pas le signe de la croix, comme c’était son habitude de le faire chaque fois qu’il se mettait à table. Bertha le regardait sans l’imiter.

— Et vous, lui dit-il, ne mangez-vous pas ?

Bertha fit signe que non, et lui versa une seconde fois du vin. C’était déjà une habitude à cette époque que les belles dames regardassent comme une chose indigne d’elles de boire et de manger, et Hermann avait vu souvent, dans les dîners auxquels il avait assisté comme serviteur, les châtelaines rester ainsi, tandis que les chevaliers mangeaient autour d’elles, afin de faire croire que, pareilles aux papillons et aux fleurs dont elles avaient la légèreté et l’éclat, elles ne vivaient que de parfums et de rosée. Il crut qu’il en était ainsi de Bertha, et continua de manger et de boire comme si elle lui tenait entière compagnie. D’ailleurs, sa gracieuse hôtesse ne restait pas inactive, et, voyant que son verre était vide, elle le lui remplit pour la troisième fois.

Hermann n’éprouvait plus ni crainte ni embarras ; le vin était délicieux et bien réel, car il faisait sur le cœur