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OTHON L’ARCHER

jets devinrent moins distincts, ses sens s’engourdirent et ses yeux se fermèrent. Il y eut encore entre ce moment de somnolence et le sommeil réel un intervalle pareil à celui du crépuscule qui sépare le jour de la nuit, intervalle bizarre et indescriptible pendant lequel la réalité se confond avec le rêve, de manière qu’il n’y a ni rêve ni réalité ; puis un repos profond lui succéda.

Il y avait si longtemps que le chevalier ne dormait plus que sous une tente et dans son harnais de guerre, qu’il céda avec volupté aux douceurs d’un bon lit, si bien que, lorsqu’il se réveilla, il vit tout d’abord, au jour, que la matinée devait être assez avancée. Mais aussitôt un spectacle inattendu et qui lui rappelait toute la scène de la veille s’offrit à sa vue et attira toute son attention. Le landgrave était assis dans un fauteuil, immobile et la tête inclinée sur sa poitrine, comme s’il attendait le réveil de son ami, et cependant sa rêverie était si profonde, qu’il ne s’était pas aperçu de ce réveil. Le comte le regarda un instant en silence ; puis, voyant que deux larmes roulaient sur ses joues creuses et pâlies, il n’y put tenir plus longtemps, et, tendant les bras vers lui :

— Ludwig ! s’écria-t-il, au nom du ciel ! qu’y a-t-il donc ?

— Hélas ! hélas ! répondit le landgrave, il y a que je n’ai plus ni femme ni fils !