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OTHON L’ARCHER

Cependant, attendu qu’à la dernière interruption le landgrave, comme s’il eût oublié son ami, ne revenait pas prendre place auprès de lui, celui-ci se leva ; il se rapprocha de nouveau de la porte du bal par laquelle entrait dans cette petite chambre retirée et sombre un flot de lumière, et, cette fois, celui qu’il venait rejoindre l’entendit, car il leva le bras sans détourner la tête.

Le comte Karl prit la place indiquée par ce geste, et le bras du landgrave retomba sur l’épaule de son frère d’armes, qu’il serra convulsivement contre lui.

Il se passait évidemment une lutte terrible et secrète dans le cœur de cet homme, et néanmoins Karl avait beau jeter les yeux sur cette foule joyeuse qui tourbillonnait devant lui, il ne remarquait rien qui pût indiquer la cause d’une pareille émotion ; mais elle était trop visible pour qu’un ami aussi dévoué que le comte ne s’en aperçût pas et n’en prit point quelque inquiétude. Cependant, celui-ci resta muet, comprenant que le premier devoir de l’amitié est la religion du secret pour les choses qu’elle veut cacher ; mais aussi, dans les cœurs habitués à se deviner, il existe un contact sympathique : de sorte que le landgrave, comprenant ce silence intime, regarda son ami, passa la main sur son front, poussa un soupir ; puis, après un dernier moment d’hésitation :

— Karl, lui dit-il d’une voix sourde et en lui mon-