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taine, et cela dans un moment. Attention, Messieurs !


Un boulet le renversa sur le talus.

Sur cette réponse, personne ne bougea plus, et chacun s’apprêta à obéir.

Biscarrat seul risqua une dernière tentative.

— Monsieur, dit-il à voix basse, croyez-moi, passons notre chemin ; ces deux hommes, ces deux lions que l’on va attaquer se défendront jusqu’à la mort. Ils nous ont déjà tué dix hommes ; ils en tueront encore le double, et finiront par se tuer eux-mêmes plutôt que de se rendre. Que gagnerons-nous à les combattre ?

— Nous y gagnerons, Monsieur, la conscience de n’avoir pas fait reculer quatre-vingts gardes du roi devant deux rebelles. Si j’écoutais votre conseil, Monsieur, je serais un homme déshonoré, et, en me déshonorant, je déshonorerais l’armée. En avant, vous autres !

Et il marcha le premier jusqu’à l’ouverture de la grotte.

Arrivé là, il fit halte.

Cette halte avait pour but de donner à Biscarrat et à ses compagnons le temps de lui dépeindre l’intérieur de la grotte. Puis, quand il crut avoir une connaissance suffisante des lieux, il divisa la compagnie en trois corps, qui devaient entrer successivement en faisant un feu nourri dans toutes les directions. Sans doute, à cette attaque, on perdrait cinq hommes encore, dix peut-être ; mais certes, on finirait par prendre les rebelles, puisqu’il n’y avait pas d’issue, et que, à tout prendre, deux hommes n’en pouvaient pas tuer quatre-vingts.

— Mon capitaine, demanda Biscarrat, je demande à marcher à la tête du premier peloton.

— Soit ! répondit le capitaine. Vous en avez tout l’honneur. C’est un cadeau que je vous fais.

— Merci ! répondit le jeune homme avec toute la fermeté de sa race.

— Prenez votre épée, alors.

— J’irai ainsi que je suis, mon capitaine, dit Biscarrat ; car je ne vais pas pour tuer, mais pour être tué.

Et, se plaçant à la tête du premier peloton, le front découvert et les bras croisés :

— Marchons, Messieurs ! dit-il.