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— Mademoiselle de Montalais ! fit Raoul plus pâle que la mort.

Il se leva en trébuchant et voulut prendre sa course sur la mosaïque glissante ; mais elle avait comprit cette douleur sauvage et cruelle, elle sentit que, dans la fuite de Raoul, il y avait une accusation ou, tout au moins, un soupçon sur elle. Femme toujours vigilante, elle ne crut pas devoir laisser passer l’occasion d’une justification ; mais Raoul, arrêté par elle au milieu de cette galerie, ne semblait pas vouloir se rendre sans combat.

Il le prit sur un ton tellement froid et embarrassé, que, si l’un ou l’autre eût été surpris ainsi, toute la cour n’eût plus eu de doutes sur la démarche de mademoiselle de Montalais.

— Ah ! Monsieur, dit-elle avec dédain, c’est peu digne d’un gentilhomme, ce que vous faites. Mon cœur m’entraîne à vous parler ; vous me compromettez par un accueil presque incivil ; vous avez tort, Monsieur, et vous confondez vos amis avec vos ennemis. Adieu !

Raoul s’était juré de ne jamais parler de Louise, de ne jamais regarder ceux qui auraient pu voir Louise ; il passait dans un autre monde pour n’y jamais rencontrer rien que Louise eût vu, rien qu’elle eût touché. Mais, après le premier choc de son orgueil, après avoir entrevu Montalais, cette compagne de Louise, Montalais, qui lui rappelait la petite tourelle de Blois et les joies de sa jeunesse, toute sa raison s’évanouit.

— Pardonnez-moi, Mademoiselle ; il n’entre pas, il ne peut pas entrer dans ma pensée d’être incivil.

— Vous voulez me parler ? dit-elle avec le sourire d’autrefois. Eh bien, venez autre part ; car ici, nous pourrions être surpris.

— Où ? fit-il.

Elle regarda l’horloge avec indécision ; puis, s’étant consultée :

— Chez moi, continua-t-elle ; nous avons une heure à nous.

Et, prenant sa course, plus légère qu’une fée, elle monta dans sa chambre, et Raoul la suivit.

Là, fermant la porte, et remettant aux mains de sa camériste la mante qu’elle avait tenue jusque-là sous son bras :

— Vous cherchez M. de Guiche ? dit-elle à Raoul.

— Oui, Mademoiselle.

— Je vais le prier de monter ici, tout à l’heure, quand je vous aurai parlé.

— Faites, Mademoiselle.

— M’en voulez-vous ?

Raoul la regarda un moment ; puis, baissant les yeux :

— Oui, dit-il.

— Vous croyez que j’ai trempé dans ce complot de votre rupture ?

— Rupture ! dit-il avec amertume. Oh ! Mademoiselle il n’y a pas rupture là où jamais il n’y eut amour.

— Erreur, répliqua Montalais ; Louise vous aimait.

Raoul tressaillit.

— Pas d’amour, je le sais ; mais elle vous aimait, et vous eussiez dû l’épouser avant de partir pour Londres.

Raoul poussa un éclat de rire sinistre, qui donna le frisson à Montalais.

— Vous me dites cela bien à votre aise, Mademoiselle !… Épouse-t-on celle que l’on veut ? Vous oubliez donc que le roi gardait déjà pour lui sa maîtresse, dont nous parlons.

— Écoutez, reprit la jeune femme en serrant les mains froides de Raoul dans les siennes, vous avez eu tous les torts ; un homme de votre âge ne doit pas laisser seule une femme du sien.

— Il n’y a plus de foi au monde, alors, dit Raoul.

— Non, vicomte, répliqua tranquillement Montalais. Cependant je dois vous dire que si, au lieu d’aimer froidement et philosophiquement Louise, vous l’eussiez éveillée à l’amour…

— Assez, je vous prie, Mademoiselle, dit Raoul. Je sens que vous êtes toutes et tous d’un autre siècle que moi. Vous savez rire et vous raillez agréablement. Moi, j’aimais mademoiselle de…

Raoul ne put prononcer son nom.

— Je l’aimais ; eh bien, je croyais en elle ; aujourd’hui, j’en suis quitte pour ne plus l’aimer.

— Oh ! vicomte ! dit Montalais en lui montrant un miroir.

— Je sais ce que vous voulez dire, Mademoiselle ; je suis bien changé, n’est-ce pas ? Eh bien, savez-vous pour quelle raison ? C’est que mon visage à moi est le miroir de mon cœur : le dedans a changé comme le dehors.

— Vous êtes consolé ? dit aigrement Montalais.

— Non, je ne me consolerai jamais.

— On ne vous comprendra point, monsieur de Bragelonne.

— Je m’en soucie peu. Je me comprends trop bien, moi.

— Vous n’avez même pas essayé de parler à Louise ?

— Moi ! s’écria le jeune homme avec des yeux étincelants, moi ! En vérité, pourquoi ne me conseillez-vous pas de l’épouser ? Peut-être le roi y consentirait-il aujourd’hui !

Et il se leva plein de colère.

— Je vois, dit Montalais, que vous n’êtes pas guéri, et que Louise a un ennemi de plus.

— Un ennemi de plus ?

— Oui, les favorites sont mal chéries à la cour de France.

— Oh ! tant qu’il lui reste son amant pour la défendre, n’est-ce pas assez ? Elle l’a choisi de qualité telle, que les ennemis ne prévaudront pas contre lui.

Mais, s’arrêtant tout à coup :

— Et puis elle vous a pour amie, Mademoiselle, ajouta-t-il avec une nuance d’ironie qui ne glissa point hors de la cuirasse.

— Moi ? Oh ! non : je ne suis plus de celles que daigne regarder mademoiselle de La Vallière ; mais…

Ce mais, si gros de menaces et d’orages, ce mais qui fit battre le cœur de Raoul, tant il présageait de douleurs à celle que jadis il aimait tant ; ce terrible mais, significatif chez une femme comme Montalais, fut interrompu par un bruit assez fort que les deux interlocuteurs entendirent dans l’alcôve, derrière la boiserie.

Montalais dressa l’oreille et Raoul se levait déjà, quand une femme entra, toute tranquille, par cette porte secrète, qu’elle referma derrière elle.

— Madame ! s’écria Raoul en reconnaissant la belle-sœur du roi.

— Oh ! malheureuse ! murmura Montalais en se jetant, mais trop tard, devant la princesse. Je me suis trompée d’une heure !

Elle eut cependant le temps de prévenir Madame, qui marchait sur Raoul.

— M. de Bragelonne, Madame.

Et, sur ces mots, la princesse recula en poussant un cri à son tour.

— Votre Altesse Royale, dit Montalais avec