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On vit passer un homme masqué par une visière d'acier.

Et, comme un valet de Monsieur, le reconnaissant, lui avait demandé s’il comptait voir Monsieur ou Madame, Raoul lui avait à peine répondu et était tombé sur un banc près de la portière de velours, regardant une horloge qui venait de s’arrêter depuis une heure.

Le valet avait passé ; un autre était arrivé alors plus instruit encore, et avait interrogé Raoul pour savoir s’il voulait qu’on prévînt M. de Guiche.

Ce nom n’avait pas éveillé l’attention du pauvre Raoul.

Le valet, insistant, s’était mis à raconter que de Guiche venait d’inventer un jeu de loterie nouveau, et qu’il l’apprenait à ces dames.

Raoul, ouvrant de grands yeux comme le distrait de Théophraste, n’avait plus répondu ; mais sa tristesse en avait augmenté de deux nuances.

La tête renversée, les jambes molles, la bouche entr’ouverte pour laisser passer les soupirs, Raoul restait ainsi oublié dans cette antichambre, quand tout à coup une robe passa en frôlant les portes d’un salon latéral qui débouchait sur cette galerie.

Une femme jeune, jolie et rieuse, gourmandant un officier de service, arrivait par là et s’exprimait avec vivacité.

L’officier répondait par des phrases calmes mais fermes ; c’était plutôt un débat d’amants qu’une contestation de gens de cour, qui finit par un baiser sur les doigts de la dame.

Soudain, en apercevant Raoul, la dame se tut, et, repoussant l’officier :

— Sauvez-vous, Malicorne, dit-elle ; je ne croyais pas qu’il y eût quelqu’un ici. Je vous maudis si l’on nous a entendus ou vus !

Malicorne s’enfuit en effet ; la jeune dame s’avança derrière Raoul, et, allongeant sa moue enjouée :

— Monsieur est galant homme, dit-elle, et, sans doute…

Elle s’interrompit pour proférer un cri.

— Raoul ! dit-elle en rougissant.