Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenait la main de Philippe, poussa le cri dont nous avons parlé, comme elle eût fait en voyant un fantôme.


Mais j'y servirai un maître plus puissant que le roi, j'y servirai Dieu. — Page 720.

Monsieur eut un mouvement d’éblouissement et tourna la tête, de celui des deux rois qu’il apercevait en face, vers celui aux côtés duquel il se trouvait.

Madame fit un pas en avant, croyant voir se refléter, dans une glace, son beau-frère.

Et, de fait, l’illusion était possible.

Les deux princes, défaits l’un et l’autre, car nous renonçons à peindre l’épouvantable saisissement de Philippe, et, tremblants tous deux, crispant l’un et l’autre une main convulsive, se mesuraient du regard et plongeaient leurs yeux comme des poignards dans l’âme l’un de l’autre. Muets, haletants, courbés, ils paraissaient prêts à fondre sur un ennemi.

Cette ressemblance inouïe du visage, du geste, de la taille, tout, jusqu’à une ressemblance de costume décidée par le hasard, car Louis XIV était allé prendre au Louvre un habit de velours violet, cette parfaite analogie des deux princes acheva de bouleverser le cœur d’Anne d’Autriche.

Elle ne devinait pourtant pas encore la vérité. Il y a de ces malheurs que nul ne veut accepter dans la vie. On aime mieux croire au surnaturel, à l’impossible.

Louis n’avait pas compté sur ces obstacles. Il s’attendait, en entrant seulement, à être reconnu. Soleil vivant, il ne souffrait pas le soupçon d’une parité avec qui que ce fût. Il n’admettait pas que tout flambeau ne devînt ténèbres à l’instant où il faisait luire son rayon vainqueur.

Aussi, à l’aspect de Philippe, fut-il plus terrifié peut-être qu’aucun autre autour de lui, et son silence, son immobilité, furent ce temps de recueillement et de calme qui précède les violentes explosions de la colère.

Mais Fouquet, qui pourrait peindre son saisissement et sa stupeur, en présence de ce portrait vivant de son maître ? Fouquet pensa qu’Aramis avait raison, que ce nouveau venu était un