— Je vais vous mettre à votre aise, cher ami. Le roi est furieux, n’est-ce pas ?
— Mais je dois vous avouer qu’il n’est pas content.
— Et vous venez ?…
— De sa part, oui.
— Pour m’arrêter, alors ?
— Vous avez mis le doigt sur la chose, cher ami.
— Je m’y attendais. Allons !
— Oh ! oh ! que diable ! fit d’Artagnan, comme vous êtes pressé, vous !
— Je crains de vous mettre en retard, dit en souriant Athos.
— J’ai le temps. N’êtes-vous pas curieux, d’ailleurs, de savoir comment les choses se sont passées entre moi et le roi ?
— S’il vous plaît de me le raconter, cher ami, j’écouterai cela avec plaisir.
Et il montra à d’Artagnan un grand fauteuil dans lequel celui-ci s’étendit en prenant ses aises.
— J’y tiens, voyez-vous, continua d’Artagnan, attendu que la conversation est assez curieuse.
— J’écoute.
— Eh bien, d’abord, le roi m’a fait appeler.
— Après mon départ ?
— Vous descendiez les dernières marches de l’escalier, à ce que m’ont dit les mousquetaires. Je suis arrivé. Mon ami, il n’était pas rouge, il était violet. J’ignorais encore ce qui s’était passé. Seulement, à terre, sur le parquet, je voyais une épée brisée en deux morceaux.
« – Capitaine d’Artagnan ! s’écria le roi en m’apercevant.
« – Sire, répondis-je.
« – Je quitte M. de La Fère, qui est un insolent !
« – Un insolent ? m’écriai-je avec un tel accent, que le roi s’arrêta court.
« – Capitaine d’Artagnan, reprit le roi les dents serrées, vous allez m’écouter et m’obéir.
« – C’est mon devoir, sire.
« – J’ai voulu épargner à ce gentilhomme, pour lequel je garde quelques bons souvenirs, l’affront de ne pas le faire arrêter chez moi.
« – Ah ! ah ! dis-je tranquillement.
« – Mais, continua-t-il, vous allez prendre un carrosse…
« Je fis un mouvement.
« – S’il vous répugne de l’arrêter vous-même, continua le roi, envoyez-moi mon capitaine des gardes.
« – Sire, répliquai-je, il n’est pas besoin du capitaine des gardes puisque je suis de service.
« – Je ne voudrais pas vous déplaire, dit le roi avec bonté ; car vous m’avez toujours bien servi, monsieur d’Artagnan.
« – Vous ne me déplaisez pas, sire, répondis-je. Je suis de service, voilà tout.
« – Mais, dit le roi avec étonnement, il me semble que le comte est votre ami ?
« – Il serait mon père, sire, que je n’en serais pas moins de service.
« Le roi me regarda ; il vit mon visage impassible et parut satisfait.
« – Vous arrêterez donc M. le comte de La Fère ? demanda-t-il.
« – Sans doute, sire, si vous m’en donnez l’ordre.
« – Eh bien, l’ordre, je vous le donne.
« Je m’inclinai.
« – Où est le comte, sire ?
« – Vous le chercherez.
« – Et je l’arrêterai en quelque lieu qu’il soit, alors ?
« – Oui… Cependant, tâchez qu’il soit chez lui. S’il retournait dans ses terres, sortez de Paris et prenez-le sur la route.
« Je saluai ; et, comme je restais en place :
« – Eh bien ? demanda le roi.
« – J’attends, sire ?
« – Qu’attendez-vous ?
« – L’ordre signé.
« Le roi parut contrarié.
« En effet, c’était un nouveau coup d’autorité à faire ; c’était réparer l’acte arbitraire, si toutefois arbitraire il y a.
« Il prit la plume lentement et de mauvaise humeur, puis il écrivit :
« Ordre à M. le chevalier d’Artagnan, capitaine-lieutenant de mes mousquetaires, d’arrêter M. le comte de La Fère partout où on le trouvera. »
« Puis il se tourna de mon côté.
« J’attendais sans sourciller. Sans doute il crut voir une bravade dans ma tranquillité, car il signa vivement ; puis, me remettant l’ordre :
« – Allez ! s’écria-t-il.
« J’obéis, et me voici.
Athos serra la main de son ami.
— Marchons, dit-il.
— Oh ! fit d’Artagnan, vous avez bien quelques petites affaires à arranger avant de quitter comme cela votre logement ?
— Moi ? Pas du tout.
— Comment !…
— Mon Dieu, non. Vous le savez, d’Artagnan, j’ai toujours été simple voyageur sur la terre, prêt à aller au bout du monde à l’ordre de mon roi, prêt à quitter ce monde pour l’autre à l’ordre de mon Dieu. Que faut-il à l’homme prévenu ? Un porte-manteau ou un cercueil. Je suis prêt aujourd’hui comme toujours, cher ami. Emmenez-moi donc.
— Mais Bragelonne ?…
— Je l’ai élevé dans les principes que je m’étais faits à moi-même, et vous voyez qu’en vous apercevant, il a deviné à l’instant même la cause qui vous amenait. Nous l’avons dépisté un moment ; mais, soyez tranquille, il s’attend assez à ma disgrâce pour ne pas s’effrayer outre mesure. Marchons.
— Marchons, dit tranquillement d’Artagnan.
— Mon ami, dit le comte, comme j’ai brisé mon épée chez le roi, et que j’en ai jeté les morceaux à ses pieds, je crois que cela me dispense de vous la remettre.
— Vous avez raison ; et, d’ailleurs, que diable voulez-vous que je fasse de votre épée ?
— Marche-t-on devant vous ou derrière vous ?
— On marche à mon bras, répliqua d’Artagnan.