Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

causant, aussi bien que nous le faisions autrefois sans parler, causons, voulez-vous ?

— Duchesse, à vos ordres. Ah ! pardon, comment avez-vous donc retrouvé mon adresse ? Et pourquoi ?

— Pourquoi ? Je vous l’ai dit. La curiosité. Je voulais savoir ce que vous êtes à ce franciscain, avec lequel j’avais affaire, et qui est mort si étrangement. Vous savez qu’à notre entrevue a Fontainebleau, dans ce cimetière, au pied de cette tombe, récemment fermée, nous fûmes émus l’un et l’autre au point de ne nous rien confier l’un à l’autre.

— Oui, madame.

— Eh bien, je ne vous eus pas plutôt quitté, que je me repentis. J’ai toujours été avide de m’instruire ; vous savez que madame de Longueville est un peu comme moi, n’est-ce pas ?

— Je ne sais, dit Aramis discrètement.

— Je me rappelai donc, continua la duchesse, que nous n’avions rien dit dans ce cimetière, ni vous de ce que vous étiez à ce franciscain dont vous avez surveillé l’inhumation, ni moi de ce que je lui étais. Aussi, tout cela m’a paru indigne de deux bons amis comme nous, et j’ai cherché l’occasion de me rapprocher de vous pour vous donner la preuve que je vous suis acquise, et que Marie Michon, la pauvre morte, a laissé sur terre une ombre pleine de mémoire.

Aramis s’inclina sur la main de la duchesse et y déposa un galant baiser.

— Vous avez dû avoir quelque peine à me retrouver, dit-il.

— Oui, fit-elle, contrariée d’être ramenée à ce que voulait savoir Aramis ; mais je vous savais ami de M. Fouquet, j’ai cherche près de M. Fouquet.

— Ami ? Oh ! s’écria le chevalier, vous dites trop, Madame. Un pauvre prêtre favorisé par ce généreux protecteur, un cœur plein de reconnaissance et de fidélité, voilà tout ce que je suis à M. Fouquet.

— Il vous a fait évêque ?

— Oui, duchesse.

— Mais, beau mousquetaire, c’est votre retraite.

— Comme à toi l’intrigue politique, pensa Aramis. Or, ajouta-t-il, vous vous enquites auprès de M. Fouquet ?

— Facilement. Vous aviez été à Fontainebleau avec lui, vous aviez fait un petit voyage à votre diocèse, qui est Belle-Isle-en-Mer, je crois ?

— Non pas, non pas, Madame, dit Aramis. Mon diocèse est Vannes.

— C’est ce que je voulais dire. Je croyais seulement que Belle-Isle-en-Mer…

— Est une maison à M. Fouquet, voilà tout.

— Ah ! c’est qu’on m’avait dit que Belle-Isle-en-Mer était fortifiée ; or, je vous sais homme de guerre, mon ami.

— J’ai tout désappris depuis que je suis d’église, dit Aramis piqué.

— Il suffit… J’ai donc su que vous étiez revenu de Vannes, et j’ai envoyé chez un ami, M. le comte de La Fère.

— Ah ! fit Aramis.

— Celui-la est discret : il m’a fait répondre qu’il ignorait votre adresse.

— Toujours Athos, pensa l’évêque : ce qui est bon est toujours bon.

— Alors… vous savez que je ne puis me montrer ici, et que la reine mère a toujours contre moi quelque chose.

— Mais oui, et je m’en étonne.

— Oh ! cela tient à toutes sortes de raisons. Mais passons… Je suis forcée de me cacher ; j’ai donc, par bonheur, rencontré M. d’Artagnan, un de vos anciens amis, n’est-ce pas ?

— Un de mes amis présents, duchesse.

— Il m’a renseignée, lui ; il m’a envoyée à M. de Baisemeaux, le gouverneur de la Bastille.

Aramis frissonna, et ses yeux dégagèrent dans l’ombre une flamme qu’il ne put cacher à sa clairvoyante amie.

— M. de Baisemeaux ! dit-il ; et pourquoi d’Artagnan vous envoya-t-il a M. de Baisemeaux ?

— Ah ! je ne sais.

— Que veut dire ceci ? dit l’évêque en résumant ses forces intellectuelles pour soutenir dignement le combat.

— M. de Baisemeaux était votre obligé, m’a dit d’Artagnan.

— C’est vrai.

— Et l’on sait toujours l’adresse d’un créancier comme celle d’un débiteur ?

— C’est encore vrai. Alors, Baisemeaux vous a indiqué ?

— Saint-Mandé, où je vous ai fait tenir une lettre.

— Que voici, et qui m’est précieuse, dit Aramis, puisque je lui dois le plaisir de vous voir.

La duchesse, satisfaite d’avoir ainsi effleuré sans malheur toutes les difficultés de cette exposition délicate, respira.

Aramis ne respira pas.

— Nous en étions, dit-il, à votre visite à Baisemeaux ?

— Non, dit-elle en riant, plus loin.

— Alors, c’est à votre rancune contre la reine mère ?

— Plus loin encore, reprit-elle, plus loin ; nous en sommes aux rapports… C’est simple, reprit la duchesse en prenant son parti. Vous savez que je vis avec M. de Laicques ?

— Oui, Madame.

— Un quasi-époux ?

— On le dit.

— À Bruxelles ?

— Oui.

— Vous savez que mes enfants m’ont ruinée et dépouillée.

— Ah ! quelle misère, duchesse !

— C’est affreux ! il a fallu que je m’ingéniasse à vivre, et surtout à ne point végéter.

— Cela se conçoit.

— J’avais des haines à exploiter, des amitiés à servir ; je n’avais plus de crédit, plus de protecteurs.

— Vous qui avez protégé tant de gens, dit suavement Aramis.

— C’est toujours comme cela, chevalier. Je vis en ce temps le roi d’Espagne.

— Ah !