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La Vallière, à son tour, remercia le peintre en rougissant, et passa dans la chambre voisine, où le roi la suivit, après avoir appelé de Saint-Aignan.

— À demain, n’est-ce pas ? dit-il à La Vallière.

— Mais, sire, songez-vous que l’on viendra certainement chez moi, qu’on ne m’y trouvera pas ?

— Eh bien ?

— Alors, que deviendrai-je ?

— Vous êtes bien craintive, Louise !

— Mais, enfin, si Madame me faisait demander ?

— Oh ! répliqua le roi, est-ce qu’un jour n’arrivera pas où vous me direz vous-même de tout braver pour ne plus vous quitter ?

— Ce jour-là, sire, je serais une insensée et vous ne devriez pas me croire.

— À demain, Louise.

La Vallière poussa un soupir ; puis, sans force contre la demande royale :

— Puisque vous le voulez, sire, à demain ! répéta-t-elle.

Et, à ces mots, elle monta légèrement les degrés et disparut aux yeux de son amant.

— Eh bien, sire ?… demanda de Saint-Aignan lorsqu’elle fut partie.

— Eh bien, de Saint-Aignan, hier, je me croyais le plus heureux des hommes.

— Et Votre Majesté, aujourd’hui, dit en souriant le comte, s’en croirait-elle par hasard le plus malheureux ?

— Non ; mais cet amour est une soif inextinguible ; en vain je bois, en vain je dévore les gouttes d’eau que ton industrie me procure : plus je bois, plus j’ai soif.

— Sire, c’est un peu votre faute ; et Votre Majesté s’est fait la position telle qu’elle est.

— Tu as raison.

— Donc, en pareil cas, sire, le moyen d’être heureux, c’est de se croire satisfait et d’attendre.

— Attendre ! Tu connais donc ce mot-là, toi, attendre ?

— Là, sire, là ! ne vous désolez point. J’ai déjà cherché, je chercherai encore.

Le roi secoua la tête d’un air désespéré.

— Et quoi ! sire, vous n’êtes plus content déjà ?

— Eh ! si fait, mon cher de Saint-Aignan ; mais trouve, mon Dieu ! trouve.

— Sire, je m’engage à chercher, voilà tout ce que je puis dire.

Le roi voulut revoir encore le portrait, ne pouvant revoir l’original. Il indiqua quelques changements au peintre, et sortit.

Derrière lui, de Saint-Aignan congédia l’artiste.

Chevalets, couleurs et peintre n’étaient pas disparus, que Malicorne montra sa tête entre les deux portières.

De Saint-Aignan le reçut à bras ouverts, et cependant avec une certaine tristesse. Le nuage qui avait passé sur le soleil royal voilait, à son tour, le satellite fidèle.

Malicorne vit, du premier coup d’œil, ce crêpe étendu sur le visage de de Saint-Aignan.

— Oh ! monsieur le comte, dit-il, comme vous voilà noir !

— J’en ai bien le sujet, ma foi ! mon cher monsieur Malicorne ; croiriez-vous que le roi n’est pas content ?

— Pas content de son escalier ?

— Oh ! non, au contraire, l’escalier a plu beaucoup.

— C’est donc la décoration des chambres qui n’est pas selon son goût ?

— Oh ! pour cela, il n’y a pas seulement songé. Non, ce qui a déplu au roi…

— Je vais vous le dire, monsieur le comte : c’est d’être venu, lui quatrième, à un rendez-vous d’amour. Comment, monsieur le comte, vous n’avez pas deviné cela, vous ?

— Mais comment l’eussé-je deviné, cher monsieur Malicorne, quand je n’ai fait que suivre à la lettre les instructions du roi ?

— En vérité, Sa Majesté a voulu, à toute force, vous voir près d’elle ?

— Positivement.

— Et Sa Majesté a voulu avoir, en outre, M. le peintre que j’ai rencontré en bas ?

— Exigé, monsieur Malicorne, exigé !

— Alors, je le comprends, pardieu ! bien que Sa Majesté ait été mécontente.

— Mécontente de ce que l’on a ponctuellement obéi à ses ordres ? Je ne vous comprends plus.

Malicorne se gratta l’oreille.

— À quelle heure, demanda-t-il, le roi avait-il dit qu’il se rendrait chez vous ?

— À deux heures.

— Et vous étiez chez vous à attendre le roi ?

— Dès une heure et demie.

— Ah ! vraiment !

— Peste ! il eût fait beau me voir inexact devant le roi.

Malicorne, malgré le respect qu’il portait à de Saint-Aignan, ne put s’empêcher de hausser les épaules.

— Et ce peintre, fit-il, le roi l’avait-il demandé aussi pour deux heures ?

— Non ; mais, moi, je le tenais ici dès midi. Mieux vaut, vous comprenez, qu’un peintre attende deux heures, que le roi une minute.

Malicorne se mit à rire silencieusement.

— Voyons, cher monsieur Malicorne, dit Saint-Aignan, riez moins de moi et parlez davantage.

— Vous l’exigez ?

— Je vous en supplie.

— Eh bien, monsieur le comte, si vous voulez que le roi soit un peu plus content la première fois qu’il viendra…

— Il vient demain.

— Eh bien, si vous voulez que le roi soit un peu plus content demain…

— Ventre saint-gris ! comme disait son aïeul, si je le veux ! je le crois bien !

— Eh bien, demain, au moment où arrivera le roi, ayez affaire dehors, mais pour une chose qui ne peut se remettre, pour une chose indispensable.

— Oh ! oh !

— Pendant vingt minutes.

— Laisser le roi seul pendant vingt minutes ? s’écria de Saint-Aignan effrayé.