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indiscrète, nul regard curieux ne pouvait monter où montait ce simple papier.

C’était une des idées de Malicorne. Voyant combien de Saint-Aignan allait devenir utile au roi par son logement, il n’avait pas voulu que le courtisan devînt encore indispensable comme messager, et il s’était, de son autorité privée, réservé ce dernier poste.

La Vallière lut avidement ce billet, qui lui fixait deux heures de l’après-midi pour le moment du rendez-vous, et qui lui indiquait le moyen de lever la plaque parquetée.

— Faites-vous belle, ajoutait le post-scriptum de la lettre.

Ces derniers mots étonnèrent la jeune fille, mais en même temps ils la rassurèrent.

L’heure marchait lentement. Elle finit cependant par arriver.

Aussi ponctuelle que la prêtresse Héro, Louise leva la trappe au dernier coup de deux heures, et trouva sur les premiers degrés le roi, qui l’attendait respectueusement pour lui donner la main.

Cette délicate déférence la toucha sensiblement.

Au bas de l’escalier, les deux amants trouvèrent le comte qui, avec un sourire et une révérence du meilleur goût, fit à La Vallière ses remercîments sur l’honneur qu’il recevait d’elle.

Puis, se tournant vers le roi :

— Sire, dit-il, notre homme est arrivé.

La Vallière, inquiète, regarda Louis.

— Mademoiselle, dit le roi, si je vous ai priée de me faire l’honneur de descendre ici, c’est par intérêt. J’ai fait demander un excellent peintre qui saisit parfaitement les ressemblances, et je désire que vous l’autorisiez à vous peindre. D’ailleurs, si vous l’exigiez absolument, le portrait resterait chez vous.

La Vallière rougit.

— Vous le voyez, lui dit le roi, nous ne serons plus trois seulement : nous voilà quatre. Eh ! mon Dieu ! du moment que nous ne serons pas seuls, nous serons tant que vous voudrez.

La Vallière serra doucement le bout des doigts de son royal amant.

— Passons dans la chambre voisine, s’il plaît à Votre Majesté, dit de Saint-Aignan.

Il ouvrit la porte et fit passer ses hôtes.

Le roi marchait derrière La Vallière et dévorait des yeux son cou blanc comme de la nacre, sur lequel s’enroulaient les anneaux serrés et crépus des cheveux argentés de la jeune fille.

La Vallière était vêtue d’une étoffe de soie épaisse de couleur gris-perle glacée de rose ; une parure de jais faisait valoir la blancheur de sa peau ; ses mains fines et diaphanes froissaient un bouquet de pensées, de roses du Bengale et de clématites au feuillage finement découpé, au-dessus desquelles s’élevait, comme une coupe à verser des parfums, une tulipe de Harlem aux tons gris et violets, pure et merveilleuse espèce, qui avait coûté cinq ans de combinaisons au jardinier et cinq mille livres au roi.

Ce bouquet, Louis l’avait mis dans la main de La Vallière en la saluant.

Dans cette chambre, dont de Saint-Aignan venait d’ouvrir la porte, se tenait un jeune homme vêtu d’un habit de velours léger avec de beaux yeux noirs et de grands cheveux bruns.

C’était le peintre.

Sa toile était toute prête, sa palette faite.

Il s’inclina devant mademoiselle de La Vallière avec cette grave curiosité de l’artiste qui étudie son modèle, salua le roi discrètement, comme s’il ne le connaissait pas, et comme il eût, par conséquent, salué un autre gentilhomme.

Puis, conduisant mademoiselle de La Vallière jusqu’au siège préparé pour elle, il l’invita à s’asseoir.

La jeune fille se posa gracieusement et avec abandon, les mains occupées, les jambes étendues sur des coussins, et, pour que ses regards n’eussent rien de vague ou rien d’affecté, le peintre la pria de se choisir une occupation.

Alors Louis XIV, en souriant, vint s’asseoir sur les coussins aux pieds de sa maîtresse.

De sorte qu’elle, penchée en arrière, adossée au fauteuil, ses fleurs à la main ; de sorte que lui, les yeux levés vers elle et la dévorant du regard, ils formaient un groupe charmant que l’artiste contempla plusieurs minutes avec satisfaction, tandis que, de son côté de Saint-Aignan le contemplait avec envie.

Le peintre esquissa rapidement ; puis, sous les premiers coups du pinceau, on vit sortir du fond gris cette molle et poétique figure aux yeux doux, aux joues roses encadrées dans des cheveux d’un pur argent.

Cependant les deux amants parlaient peu et se regardaient beaucoup ; parfois leurs yeux devenaient si languissants, que le peintre était forcé d’interrompre son ouvrage pour ne pas représenter une Érycine au lieu d’une La Vallière.

C’est alors que de Saint-Aignan revenait à la rescousse ; il récitait des vers ou disait quelques-unes de ces historiettes comme Patru les racontait, comme Tallemant des Réaux les écrivait si bien.

Ou bien La Vallière était fatiguée, et l’on se reposait.

Aussitôt un plateau de porcelaine de Chine, chargé des plus beaux fruits que l’on avait pu trouver, aussitôt le vin de Xérès, distillant ses topazes dans l’argent ciselé, semaient d’accessoires à ce tableau, dont le peintre ne devait retracer que la plus éphémère figure.

Louis s’enivrait d’amour ; La Vallière, de bonheur ; de Saint-Aignan, d’ambition.

Le peintre se composait des souvenirs pour sa vieillesse.

Deux heures s’écoulèrent ainsi ; puis, quatre heures ayant sonné, La Vallière se leva, et fit un signe au roi.

Louis se leva, s’approcha du tableau, et adressa quelques compliments flatteurs à l’artiste.

De Saint-Aignan vantait la ressemblance, déjà assurée, à ce qu’il prétendait.