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Ces ampoules venaient de ce qu’il avait tenu l’échelle à Malicorne.

Il avait, en outre, apporté un à un les cinq morceaux de l’escalier, formés chacun de deux marches.

Enfin, nous pouvons le dire, le roi, s’il l’eût vu si ardent à l’œuvre, le roi lui eût juré reconnaissance éternelle.

Comme l’avait prévu Malicorne, l’homme des mesures exactes, l’ouvrier eut terminé toutes ses opérations en vingt-quatre heures.

Il reçut vingt-quatre louis et partit comblé de joie ; c’était autant qu’il gagnait d’ordinaire en six mois.

Nul n’avait le plus petit soupçon de ce qui s’était passé sous l’appartement de mademoiselle de La Vallière.

Mais, le soir du second jour, au moment où La Vallière venait de quitter le cercle de Madame et rentrait chez elle, un léger craquement retentit au fond de la chambre.

Étonnée, elle regarda d’où venait le bruit. Le bruit recommença.

— Qui est là ? demanda-t-elle avec un accent d’effroi.

— Moi, répondit la voix si connue du roi.

— Vous !… vous ! s’écria la jeune fille qui se crut un instant sous l’empire d’un songe. Mais où cela, vous ?… vous, sire ?

— Ici, répliqua le roi en dépliant une des feuilles du paravent, et en apparaissant comme une ombre au fond de l’appartement.

La Vallière poussa un cri et tomba toute frissonnante sur un fauteuil.

Le roi s’avança respectueusement vers elle.


CLXXIV

L’APPARITION.


La Vallière se remit promptement de sa surprise : à force d’être respectueux, le roi lui rendait par sa présence plus de confiance que son apparition ne lui en avait ôté.

Mais, comme il vit surtout que ce qui inquiétait La Vallière, c’était la façon dont il avait pénétré chez elle, et lui expliqua le système de l’escalier caché par le paravent, se défendant surtout d’être une apparition surnaturelle.

— Oh ! sire, lui dit La Vallière en secouant sa blonde tête avec un charmant sourire, présent ou absent, vous n’apparaissez pas moins à mon esprit dans un moment que dans l’autre.

— Ce qui veut dire, Louise ?

— Oh ! ce que vous savez bien, sire : c’est qu’il n’est pas un instant où la pauvre fille dont vous avez surpris le secret à Fontainebleau, et que vous êtes venu reprendre au pied de la croix, ne pense à vous.

— Louise, vous me comblez de joie et de bonheur.

La Vallière sourit tristement et continua :

— Mais, sire, avez-vous réfléchi que votre ingénieuse invention ne pouvait nous être d’aucune utilité ?

— Et pourquoi cela ? Dites ; j’attends.

— Parce que cette chambre où je loge, sire, n’est point à l’abri des recherches, il s’en faut, Madame peut y venir par hasard ; à chaque instant du jour, mes compagnes y viennent ; fermer ma porte en dedans, c’est me dénoncer aussi clairement que si j’écrivais dessus : « N’entrez pas, le roi est ici ! » Et, tenez, sire, en ce moment même, rien n’empêche que la porte ne s’ouvre, et que Votre Majesté, surprise, ne soit vue près de moi.

— C’est alors, dit en riant le roi, que je serais véritablement pris pour un fantôme, car nul ne peut dire par où je suis venu ici. Or, il n’y a que les fantômes qui passent à travers les murs ou à travers les plafonds.

— Oh ! sire, quelle aventure ! songez-y bien, sire, quel scandale ! Jamais rien de pareil n’aurait été dit sur les filles d’honneur, pauvres créatures que la méchanceté n’épargne guère, cependant.

— Et vous concluez de tout cela, ma chère Louise ?… Voyons, dites, expliquez-vous !

— Qu’il faut, hélas ! pardonnez-moi, c’est un mot bien dur…

Louis sourit.

— Voyons, dit-il.

— Qu’il faut que Votre Majesté supprime l’escalier, machinations et surprises ; car le mal d’être pris ici, songez-y, sire, serait plus grand que le bonheur de s’y voir.

— Eh bien, chère Louise, répondit le roi avec amour, au lieu de supprimer cet escalier par lequel je monte, il est un moyen plus simple auquel vous n’avez point pensé.

— Un moyen… encore ?…

— Oui, encore. Oh ! vous ne m’aimez pas comme je vous aime, Louise, puisque je suis plus inventif que vous.

Elle le regarda. Louis lui tendit la main, qu’elle serra doucement.

— Vous dites, continua le roi, que je serai surpris en venant où chacun peut entrer à son aise ?

— Tenez, sire, au moment même où vous en parlez, j’en tremble.

— Soit ; mais vous ne seriez pas surprise, vous, en descendant cet escalier pour venir dans les chambres qui sont au-dessous.

— Sire, sire, que dites-vous là ? s’écria La Vallière effrayée.

— Vous me comprenez mal, Louise, puisque’à mon premier mot, vous prenez cette grande colère ; d’abord, savez-vous à qui appartiennent ces chambres ?

— Mais à M. le comte de Guiche.

— Non pas, à M. de Saint-Aignan.

— Vrai ? s’écria La Vallière.

Et ce mot, échappé du cœur joyeux de la jeune fille, fit luire comme un éclair de doux présage dans le cœur épanoui du roi.

— Oui, à de Saint-Aignan, à notre ami, dit-il.

— Mais, sire, reprit La Vallière, je ne puis pas plus aller chez M. de Saint-Aignan que chez M. le comte de Guiche, hasarda l’ange redevenu femme.

— Pourquoi donc ne le pouvez-vous pas, Louise ?

— Impossible ! impossible !