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complètement compté, qu’elle n’avait pas cru nécessaire d’en chercher une autre, Madame m’approuve ? continua-t-elle.

Madame pensait que, pendant la nuit, le roi pourrait bien quitter Saint-Germain, et que, comme on ne comptait que quatre lieues et demie de Paris à Saint-Germain, il pourrait bien être en une heure à Paris.

— Dites-moi, fit-elle, en vous sachant blessée, La Vallière vous a au moins offert sa compagnie ?

— Oh ! elle ne connaît pas encore mon accident ; mais le connût-elle, je ne lui demanderai certes rien qui la dérange de ses projets. Je crois qu’elle veut réaliser seule, ce soir, la partie de plaisir du feu roi, quand il disait à M. de Saint-Mars : « Ennuyons-nous, monsieur de Saint-Mars, ennuyons-nous bien. »

Madame était convaincue que quelque mystère amoureux était caché sous cette soif de solitude. Ce mystère devait être le retour nocturne de Louis. Il n’y avait plus à en douter, La Vallière était prévenue de ce retour, de là cette joie de rester au Palais-Royal.

C’était tout un plan combiné d’avance.

— Je ne serai pas leur dupe, dit Madame.

Et elle prit un parti décisif.

— Mademoiselle de Montalais, dit-elle, veuillez prévenir votre amie, mademoiselle de La Vallière, que je suis au désespoir de troubler ses projets de solitude ; mais, au lieu de s’ennuyer seule chez elle, comme elle le désirait, elle viendra s’ennuyer avec nous à Saint-Germain.

— Ah ! pauvre La Vallière, fit Montalais d’un air dolent, mais avec l’allégresse dans le cœur. Oh ! Madame, est-ce qu’il n’y aurait pas moyen que Votre Altesse…

— Assez, dit Madame, je le veux ! Je préfère la société de mademoiselle La Baume Le Blanc à toutes les autres sociétés. Allez, envoyez-la-moi et soignez votre jambe.

Montalais ne se fit pas répéter l’ordre. Elle rentra, écrivit sa réponse à Malicorne, et la glissa sous le tapis. On ira, disait cette réponse. Une Spartiate n’eût pas écrit plus laconiquement.

— De cette façon, pensait Madame, pendant la route, je la surveille ; pendant la nuit, elle couche près de moi, et bien adroite est Sa Majesté si elle échange un seul mot avec mademoiselle de La Vallière.

La Vallière reçut l’ordre de partir avec la même douceur indifférente qu’elle avait reçu l’ordre de rester.

Seulement, intérieurement, sa joie fut vive, et elle regarda ce changement de résolution de la princesse comme une consolation que lui envoyait la Providence.

Moins pénétrante que Madame, elle mettait tout sur le compte du hasard.

Tandis que tout le monde, à l’exception des disgraciés, des malades et des gens ayant des entorses, se dirigeait vers Saint-Germain, Malicorne faisait entrer son ouvrier dans un carrosse de M. de Saint-Aignan et le conduisait dans la chambre correspondant à la chambre de La Vallière.

Cet homme se mit à l’œuvre, alléché par la splendide récompense qui lui avait été promise.

Comme on avait fait prendre chez les ingénieurs de la maison du roi tous les outils les plus excellents, entre autres, une de ces scies aux morsures invincibles qui vont tailler dans l’eau les madriers de chêne durs comme du fer, l’ouvrage avança rapidement, et un morceau carré du plafond, choisi entre deux solives, tomba dans les bras de Saint-Aignan, de Malicorne, de l’ouvrier et d’un valet de confiance, personnage mis au monde pour tout voir, tout entendre et ne rien répéter.

Seulement, en vertu d’un nouveau plan indiqué par Malicorne, l’ouverture fut pratiquée dans l’angle.

Voici pourquoi.

Comme il n’y avait pas de cabinet de toilette dans la chambre de La Vallière, La Vallière avait demandé et obtenu, le matin même, un grand paravent destiné à remplacer une cloison.

Le paravent avait été accordé.

Il suffisait parfaitement pour cacher l’ouverture, qui d’ailleurs, serait dissimulée par tous les artifices de l’ébénisterie.

Le trou pratiqué, l’ouvrier se glissa entre les solives et se trouva dans la chambre de La Vallière.

Arrivé là, il scia carrément le plancher, et, avec les feuilles mêmes du parquet, il confectionna une trappe s’adaptant si parfaitement à l’ouverture, que l’œil le plus exercé n’y pouvait voir que les interstices obligés d’une soudure de parquet.

Malicorne avait tout prévu. Une poignée et deux charnières, achetées d’avance, furent posées à cette feuille de bois.

Un de ces petits escaliers tournants, comme on commençait à en poser dans les entre-sols, fut acheté tout fait par l’industrieux Malicorne, et payé deux mille livres.

Il était plus haut qu’il n’était besoin ; mais le charpentier en supprima des degrés, et il se trouva d’exacte mesure.

Cet escalier, destiné à recevoir un si illustre poids, fut accroché au mur par deux crampons seulement.

Quant à sa base, elle fut arrêtée dans le parquet même du comte par deux fiches vissées : le roi et tout son conseil eussent pu monter et descendre cet escalier sans aucune crainte.

Tout marteau frappait sur un coussinet d’étoupes, toute lime mordait, le manche enveloppé de laine, la lame trempée d’huile.

D’ailleurs, le travail le plus bruyant avait été fait pendant la nuit et pendant la matinée, c’est-à-dire en l’absence de La Vallière et de Madame.

Quand, vers deux heures, la cour rentra au Palais-Royal, et que La Vallière remonta dans sa chambre, tout était en place, et pas la moindre parcelle de sciure, pas le plus petit copeau ne venaient attester la violation de domicile.

Seulement, de Saint-Aignan, qui avait voulu aider de son mieux dans ce travail, avait déchiré ses doigts et sa chemise et dépensé beaucoup de sueur au service de son roi.

La paume de ses mains, surtout, était toute garnie d’ampoules.