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— Plaît-il ? fit Malicorne.

— Je dis que voilà une idée bien audacieuse, Monsieur.

— Elle paraîtra bien mesquine au roi, je vous assure.

— Les amoureux ne réfléchissent point au danger.

— Quel danger craignez-vous, monsieur le comte ?

— Mais un percement pareil, c’est un bruit effroyable, tout le château en retentira ?

— Oh ! monsieur le comte, je suis sûr, moi, que l’ouvrier que je vous désignerai ne fera pas le moindre bruit. Il sciera un quadrilatère de six pieds avec une scie garnie d’étoupe, et nul, même des plus voisins, ne s’apercevra qu’il travaille.

— Ah ! mon cher monsieur Malicorne, vous m’étourdissez, vous me bouleversez.

— Je continue, répondit tranquillement Malicorne : dans la chambre dont vous avez percé le plafond, vous entendez bien, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Vous dresserez un escalier qui permette, soit à mademoiselle de La Vallière de descendre chez vous, soit au roi de monter chez mademoiselle de La Vallière.

— Mais cet escalier, on le verra ?

— Non ; car, de votre côté, il sera caché par une cloison sur laquelle vous étendrez une tapisserie pareille à celle qui garnira le reste de l’appartement ; chez mademoiselle de La Vallière, il disparaîtra sous une trappe qui sera le parquet même, et qui s’ouvrira sous le lit.

— En effet, dit de Saint-Aignan, dont les yeux commencèrent à étinceler.

— Maintenant, monsieur le comte, je n’ai pas besoin de vous faire avouer que le roi viendra souvent dans la chambre où sera établi un pareil escalier. Je crois que M. Dangeau, particulièrement, sera frappé de mon idée, et je vais la lui développer.

— Ah ! cher monsieur Malicorne ! s’écria de Saint-Aignan, vous oubliez que c’est à moi que vous en avez parlé le premier, et que, par conséquent, j’ai les droits de la priorité.

— Voulez-vous donc la préférence ?

— Si je la veux ! je crois bien !

— Le fait est, monsieur de Saint-Aignan, que c’est un cordon pour la première promotion que je vous donne là, et peut-être même quelque bon duché.

— C’est, du moins, répondit de Saint-Aignan rouge de plaisir, une occasion de montrer au roi qu’il n’a pas tort de m’appeler quelquefois son ami, occasion, cher monsieur Malicorne, que je vous devrai.

— Vous ne l’oublierez pas un peu ? demanda Malicorne en souriant.

— Je m’en ferai gloire, Monsieur.

— Moi, Monsieur, je ne suis pas l’ami du roi, je suis son serviteur.

— Oui, et, si vous pensez qu’il y a un cordon bleu pour moi dans cet escalier, je pense qu’il y aura bien pour vous un rouleau de lettres de noblesse.

Malicorne s’inclina.

— Il ne s’agit plus, maintenant, que de déménager, dit de Saint-Aignan.

— Je ne vois pas que le roi s’y oppose ; demandez-lui-en la permission.

— À l’instant même je cours chez lui.

— Et moi, je vais me procurer l’ouvrier dont nous avons besoin.

— Quand l’aurai-je ?

— Ce soir.

— N’oubliez pas les précautions.

— Je vous l’amène les yeux bandés.

— Et moi, je vous envoie un de mes carrosses.

— Sans armoiries.

— Avec un de mes laquais sans livrée, c’est convenu.

— Très-bien, monsieur le comte.

— Mais La Vallière.

— Eh bien ?

— Que dira-t-elle en voyant l’opération ?

— Je vous assure que cela l’intéressera beaucoup.

— Je le crois.

— Je suis même sûr que, si le roi n’a pas l’audace de monter chez elle, elle aura la curiosité de descendre.

— Espérons, dit de Saint-Aignan.

— Oui, espérons, répéta Malicorne.

— Je m’en vais chez le roi, alors.

— Et vous faites à merveille.

— À quelle heure ce soir mon ouvrier ?

— À huit heures.

— Et combien de temps estimez-vous qu’il lui faudra pour scier son quadrilatère ?

— Mais deux heures, à peu près ; seulement, ensuite, il lui faudra le temps d’achever ce qu’on appelle les raccords. Une nuit et une partie de la journée du lendemain : c’est deux jours qu’il faut compter avec l’escalier.

— Deux jours, c’est bien long.

— Dame ! quand on se mêle d’ouvrir une porte sur le paradis, faut-il, au moins, que cette porte soit décente.

— Vous avez raison ; à tantôt, cher monsieur Malicorne. Mon déménagement sera prêt pour après-demain au soir.

CLXXIII

LA PROMENADE AUX FLAMBEAUX


De Saint-Aignan, ravi de ce qu’il venait d’entendre, enchanté de ce qu’il entrevoyait, prit sa course vers les deux chambres de de Guiche.

Lui qui, un quart d’heure auparavant, n’eût pas donné ses deux chambres pour un million, il était prêt à acheter, pour un million, si on le lui eût demandé, les deux bienheureuses chambres qu’il convoitait maintenant.

Mais il n’y rencontra pas tant d’exigences. M. de Guiche ne savait pas encore où il devait loger, et, d’ailleurs, était trop souffrant toujours pour s’occuper de son logement.

De Saint-Aignan eut donc les deux chambres de de Guiche. De son côté, M. Dangeau eut les deux chambres de de Saint-Aignan, moyennant un pot-de-vin de six mille livres à l’intendant du comte, et crut avoir fait une affaire d’or.