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retraite m’a fortifiée : je me sens plus calme sous la main de Dieu. Dieu est un protecteur devant qui tombent toutes les petites méchancetés humaines. Sire, encore une fois, laissez-moi avec Dieu.

— Alors, s’écria Louis, dites franchement que vous ne m’avez jamais aimé, dites que mon humilité, dites que mon repentir flattent votre orgueil, mais que vous ne vous affligez pas de ma douleur. Dites que le roi de France n’est plus pour vous un amant dont la tendresse pouvait faire votre bonheur, mais un despote dont le caprice a brisé dans votre cœur jusqu’à la dernière fibre de la sensibilité. Ne dites pas que vous cherchez Dieu, dites que vous fuyez le roi. Non, Dieu n’est pas complice des résolutions inflexibles. Dieu admet la pénitence et le remords ; il pardonne, il veut qu’on aime.

Louise se tordait de souffrance en entendant ces paroles qui faisaient couler la flamme jusqu’au plus profond de ses veines.

— Mais vous n’avez donc pas entendu ? dit-elle.

— Quoi ?

— Vous n’avez donc pas entendu que je suis chassée, méprisée, méprisable ?

— Je vous ferai la plus respectée, la plus adorée, la plus enviée à ma cour.

— Prouvez-moi que vous n’avez pas cessé de m’aimer.

— Comment cela ?

— Fuyez-moi.

— Je vous le prouverai en ne vous quittant plus.

— Mais croyez-vous donc que je souffrirai cela, sire ? Croyez-vous que je vous laisserai déclarer la guerre à toute votre famille ? Croyez-vous que je vous laisserai repousser pour moi mère, femme et sœur ?

— Ah ! vous les avez donc nommées, enfin ; ce sont donc elles qui ont fait le mal ? Par le Dieu tout-puissant ! je les punirai !

— Et moi, voilà pourquoi l’avenir m’effraie, voilà pourquoi je refuse tout, voilà pourquoi je ne veux pas que vous me vengiez. Assez de larmes, mon Dieu ! assez de douleurs, assez de plaintes comme cela. Oh ! jamais, je ne coûterai plaintes, douleurs, ni larmes à qui que ce soit. J’ai trop gémi, j’ai trop pleuré, j’ai trop souffert !

— Et mes larmes à moi, mes douleurs à moi, mes plaintes à moi, les comptez-vous donc pour rien ?

— Ne me parlez pas ainsi, sire, au nom du ciel ! Au nom du ciel ! ne me parlez pas ainsi. J’ai besoin de tout mon courage pour accomplir le sacrifice.

— Louise, Louise, je t’en supplie ! Commande, ordonne, venge-toi ou pardonne ; mais ne m’abandonne pas !

— Hélas ! il faut que nous nous séparions, sire.

— Mais tu ne m’aimes donc point ?

— Oh ! Dieu le sait !

— Mensonge ! mensonge !

— Oh ! si je ne vous aimais pas, sire, mais je vous laisserais faire, je me laisserais venger ; j’accepterais, en échange de l’insulte que l’on m’a faite, ce doux triomphe de l’orgueil que vous me proposez ! Tandis que, vous le voyez bien, je ne veux pas même de la douce compensation de votre amour, de votre amour qui est ma vie, cependant, puisque j’ai voulu mourir, croyant que vous ne m’aimiez plus.

— Eh bien, oui, oui, je le sais maintenant, je le reconnais à cette heure ; vous êtes la plus sainte, la plus vénérable des femmes. Nulle n’est digne, comme vous, non-seulement de mon amour et de mon respect, mais encore de l’amour et du respect de tous ; aussi, nulle ne sera aimée comme vous, Louise ! nulle n’aura sur moi l’empire que vous avez. Oui, je vous le jure, je briserais en ce moment le monde comme du verre, si le monde me gênait. Vous m’ordonnez de me calmer, de pardonner ? Soit, je me calmerai. Vous voulez régner par la douceur et par la clémence ? Je serai clément et doux. Dictez-moi seulement ma conduite, j’obéirai.

— Ah ! mon Dieu ! que suis-je, moi, pauvre fille, pour dicter une syllabe à un roi tel que vous ?

— Vous êtes ma vie et mon âme ! N’est-ce pas l’âme qui régit le corps ?

— Oh ! vous m’aimez donc, mon cher sire ?

— À deux genoux, les mains jointes, de toutes les forces que Dieu a mises en moi. Je vous aime assez pour vous donner ma vie en souriant si vous dites un mot !

— Vous m’aimez ?

— Oh ! oui.

— Alors, je n’ai plus rien à désirer au monde… Votre main, sire, et disons-nous adieu ! J’ai eu dans cette vie tout le bonheur qui m’était échu.

— Oh ! non, ne dis pas que ta vie commence ! Ton bonheur, ce n’est pas hier, c’est aujourd’hui, c’est demain, c’est toujours ! À toi l’avenir ! à toi tout ce qui est à moi ! Plus de ces idées de séparation, plus de ces désespoirs sombres : l’amour est notre Dieu, c’est le besoin de nos âmes. Tu vivras pour moi, comme je vivrai pour toi.

Et, se prosternant devant elle, il baisa ses genoux avec des transports inexprimables de joie et de reconnaissance.

— Oh ! sire ! sire ! tout cela est un rêve.

— Pourquoi un rêve ?

— Parce que je ne puis revenir à la cour. Exilée, comment vous revoir ? Ne vaut-il pas mieux prendre le cloître pour y enterrer, dans le baume de votre amour, les derniers élans de votre cœur et votre dernier aveu ?

— Exilée, vous ? s’écria Louis XIV. Et qui donc exile quand je rappelle ?

— Oh ! sire, quelque chose qui règne au-dessus des rois : le monde et l’opinion. Réfléchissez-y, vous ne pouvez aimer une femme chassée ; celle que votre mère a tachée d’un soupçon, celle que votre sœur a flétrie d’un châtiment, celle-là est indigne de vous.

— Indigne, celle qui m’appartient ?

— Oui, c’est justement cela, sire ; du moment qu’elle vous appartient, votre maîtresse est indigne.

— Ah ! vous avez raison, Louise, et toutes les délicatesses sont en vous. Eh bien, vous ne serez pas exilée.