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de la cour, malgré toute son austérité, du premier coup d’œil, elle reconnut le roi au respect que lui témoignaient les assistants, comme aussi à l’air de maître avec lequel il bouleversait toute la communauté.

À la vue du roi, elle s’était retirée chez elle ; ce qui était un moyen de ne pas compromettre sa dignité.

Mais elle envoya par les religieuses toutes sortes de cordiaux, d’eaux de la reine de Hongrie, de mélisse, etc., etc., ordonnant, en outre, que les portes fussent fermées.

Il était temps : la douleur du roi devenait bruyante et désespérée.

Le roi paraissait décidé à envoyer chercher son médecin, lorsque La Vallière revint à la vie.

En rouvrant les yeux, la première chose qu’elle aperçut fut le roi, à ses pieds. Sans doute elle ne le reconnut point, car elle poussa un douloureux soupir.

Louis la couvait d’un regard avide.

Enfin, ses yeux errants se fixèrent sur le roi. Elle le reconnut, et fit un effort pour s’arracher de ses bras.

— Eh quoi ! murmura-t-elle, le sacrifice n’est donc pas encore accompli ?

— Oh ! non, non ! s’écria le roi, et il ne s’accomplira pas, c’est moi qui vous le jure.

Elle se releva faible et toute brisée qu’elle était.

— Il le faut cependant, dit-elle ; il le faut, ne m’arrêtez plus.

— Je vous laisserais vous sacrifier, moi ? s’écria Louis. Jamais ! jamais !

Bon ! murmura d’Artagnan, il est temps de sortir. Du moment qu’ils commencent à parler, épargnons-leur les oreilles.

D’Artagnan sortit, les deux amants demeurèrent seuls.

— Sire, continua La Vallière, pas un mot de plus, je vous en supplie. Ne perdez pas le seul avenir que j’espère, c’est-à-dire mon salut ; tout le vôtre, c’est-à-dire votre gloire, pour un caprice.

— Un caprice ? s’écria le roi.

— Oh ! maintenant, dit La Vallière, maintenant, sire, je vois clair dans votre cœur.

— Vous, Louise ?

— Oh ! oui, moi !

— Expliquez-vous.

— Un entraînement incompréhensible, déraisonnable, peut vous paraître momentanément une excuse suffisante, mais vous avez des devoirs qui sont incompatibles avec votre amour pour une pauvre fille. Oubliez-moi.

— Moi, vous oublier ?

— C’est déjà fait.

— Plutôt mourir !

— Sire, vous ne pouvez aimer celle que vous avez consenti à tuer cette nuit aussi cruellement que vous l’avez fait.

— Que me dites-vous ? Voyons, expliquez-vous.

— Que m’avez-vous demandé hier au matin, dites, de vous aimer ? Que m’avez-vous promis en échange ? De ne jamais passer minuit sans m’offrir une réconciliation, quand vous auriez eu de la colère contre moi.

— Oh ! pardonnez-moi, pardonnez-moi, Louise ! J’étais fou de jalousie.

— Sire, la jalousie est une mauvaise pensée, qui venait comme l’ivraie quand on l’a coupée. Vous serez encore jaloux, et vous achèverez de me tuer. Ayez la pitié de me laisser mourir.

— Encore un mot comme celui-là, mademoiselle, et vous me verrez expirer à vos pieds.

— Non, non, sire, je sais mieux ce que je vaux. Croyez-moi, et vous ne vous perdrez pas pour une malheureuse que tout le monde méprise.

— Oh ! nommez-moi donc ceux-là que vous accusez ! nommez-les-moi !

— Je n’ai de plaintes à faire contre personne, sire ; je n’accuse que moi. Adieu, sire ! Vous vous compromettez en me parlant ainsi.

— Prenez garde, Louise ; en me parlant ainsi, vous me réduisez au désespoir ; prenez garde !

— Oh ! sire ! sire ! laissez-moi avec Dieu, je vous en supplie !

— Je vous arracherai à Dieu même !

— Mais, auparavant, s’écria la pauvre enfant, arrachez-moi donc à ces ennemis féroces qui en veulent à ma vie et à mon honneur. Si vous avez assez de force pour aimer, ayez donc assez de pouvoir pour me défendre ; mais non, celle que vous dites aimer, on l’insulte, on la raille, on la chasse.

Et l’inoffensive enfant, forcée par sa douleur d’accuser, se tordait les bras avec des sanglots.

— On vous a chassée ! s’écria le roi. Voilà la seconde fois que j’entends ce mot.

— Ignominieusement, sire. Vous le voyez bien, je n’ai plus d’autre protecteur que Dieu, d’autre consolation que la prière, d’autre asile que le cloître.

— Vous aurez mon palais, vous aurez ma cour. Oh ! ne craignez plus rien, Louise ; ceux-là ou plutôt celles-là qui vous ont chassée hier trembleront demain devant vous ; que dis-je, demain ? ce matin j’ai déjà grondé, menacé. Je puis laisser échapper la foudre que je retiens encore. Louise ! Louise ! vous serez cruellement vengée. Des larmes de sang paieront vos larmes. Nommez-moi seulement vos ennemis.

— Jamais ! jamais !

— Comment voulez-vous que je frappe alors ?

— Sire, ceux qu’il faudrait frapper feraient reculer votre main.

— Oh ! vous ne me connaissez point ! s’écria Louis exaspéré. Plutôt que de reculer, je brûlerais mon royaume et je maudirais ma famille. Oui, je frapperais jusqu’à ce bras, si ce bras était assez lâche pour ne pas anéantir tout ce qui s’est fait l’ennemi de la plus douce des créatures.

Et, en effet, en disant ces mots, Louis frappa violemment du poing sur la cloison de chêne, qui rendit un lugubre murmure.

La Vallière s’épouvanta. La colère de ce jeune homme tout-puissant avait quelque chose d’imposant et de sinistre, parce que, comme celle de la tempête, elle pouvait être mortelle.

Elle, dont la douleur croyait n’avoir pas d’égale, fut vaincue par cette douleur qui se faisait jour par la menace et par la violence.

— Sire, dit-elle, une dernière fois, éloignez-vous, je vous en supplie ; déjà le calme de cette