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Il sut donc l’entrevue avec Colbert ; il sut donc le rendez-vous donné aux ambassadeurs pour le matin ; il sut donc qu’il y serait question de médailles ; et, tout en reconstruisant la conversation sur ces quelques mots venus jusqu’à lui, il regagna son poste dans les appartements pour être là au moment où le roi se réveillerait.

Le roi se réveilla de fort bonne heure ; ce qui prouvait que, lui aussi, de son côté, avait assez mal dormi. Vers sept heures, il entr’ouvrit doucement sa porte.

D’Artagnan était à son poste.

Sa Majesté était pâle et paraissait fatiguée ; au reste, sa toilette n’était point achevée.

— Faites appeler M. de Saint-Aignan, dit-il.

De Saint-Aignan s’attendait sans doute à être appelé ; car lorsqu’on se présenta chez lui, il était tout habillé.

De Saint-Aignan sa hâta d’obéir et passa chez le roi.

Un instant après, le roi et de Saint-Aignan passèrent ; le roi marchait le premier.

D’Artagnan était à la fenêtre donnant sur les cours ; il n’eut pas besoin de se déranger pour suivre le roi des yeux. On eût dit qu’il avait d’avance deviné où irait le roi.

Le roi allait chez les filles d’honneur.

Cela n’étonna point d’Artagnan. Il se doutait bien, quoique La Vallière ne lui en eût rien dit, que Sa Majesté avait des torts à réparer.

De Saint-Aignan le suivait comme la veille, un peu moins inquiet, un peu moins agité cependant ; car il espérait qu’à sept heures du matin il n’y avait encore que lui et le roi d’éveillés, parmi les augustes hôtes du château.

D’Artagnan était à sa fenêtre, insouciant et calme. On eût juré qu’il ne voyait rien et qu’il ignorait complètement quels étaient ces deux coureurs d’aventures, qui traversaient les cours enveloppés de leurs manteaux.

Et cependant d’Artagnan, tout en ayant l’air de ne les point regarder, ne les perdait point de vue, et, tout en sifflotant cette vieille marche des mousquetaires qu’il ne se rappelait que dans les grandes occasions, devinait et calculait d’avance toute cette tempête de cris et de colères qui allait s’élever au retour.

En effet, le roi entrant chez La Vallière, et trouvant la chambre vide, et le lit intact, le roi commença de s’effrayer et appela Montalais.

Montalais accourut ; mais son étonnement fut égal à celui du roi.

Tout ce qu’elle put dire à Sa Majesté, c’est qu’il lui avait semblé entendre pleurer La Vallière une partie de la nuit ; mais, sachant que Sa Majesté était revenue, elle n’avait osé s’informer.

— Mais, demanda le roi, où croyez-vous qu’elle soit allée ?

— Sire, répondit Montalais, Louise est une personne fort sentimentale, et souvent je l’ai vue se lever avant le jour et aller au jardin ; peut-être y sera-t-elle ce matin ?

La chose parut probable au roi, qui descendit aussitôt pour se mettre à la recherche de la fugitive.

D’Artagnan le vit paraître, pâle et causant vivement avec son compagnon.

Il se dirigea vers les jardins.

De Saint-Aignan le suivait tout essoufflé.

D’Artagnan ne bougeait pas de sa fenêtre, sifflotant toujours, ne paraissant rien voir et voyant tout.

— Allons, allons, murmura-t-il quand le roi eut disparu, la passion de Sa Majesté est plus forte que je ne le croyais ; il fait là, ce me semble, des choses qu’il n’a pas faites pour mademoiselle de Mancini.

Le roi reparut un quart d’heure après. Il avait cherché partout. Il était hors d’haleine.

Il va sans dire que le roi n’avait rien trouvé.

De Saint-Aignan le suivait, s’éventant avec son chapeau, et demandant, d’une voix altérée, des renseignements aux premiers serviteurs venus, à tous ceux qu’il rencontrait.

Manicamp se trouva sur sa route. Manicamp arrivait de Fontainebleau à petites journées ; où les autres avaient mis six heures, il en avait mis, lui, vingt-quatre.

— Avez-vous vu mademoiselle de La Vallière ? lui demanda de Saint-Aignan.

Ce à quoi Manicamp, toujours rêveur et distrait, répondit, croyant qu’on lui parlait de Guiche :

— Merci, le comte va un peu mieux.

Et il continua sa route jusqu’à l’antichambre, où il trouva d’Artagnan, à qui il demanda des explications sur cet air effaré qu’il avait cru voir au roi.

D’Artagnan lui répondit qu’il s’était trompé ; que le roi, au contraire, était d’une gaieté folle.

Huit heures sonnèrent sur ces entrefaites.

Le roi, d’ordinaire, prenait son déjeuner à ce moment.

Il était arrêté, par le code de l’étiquette, que le roi aurait toujours faim à huit heures.

Il se fit servir sur une petite table, dans sa chambre à coucher, et mangea vite.

De Saint-Aignan, dont il ne voulait pas se séparer, lui tint la serviette. Puis il expédia quelques audiences militaires.

Pendant ces audiences, il envoya de Saint-Aignan aux découvertes.

Puis, toujours occupé, toujours anxieux, toujours guettant le retour de Saint-Aignan, qui avait mis son monde en campagne et qui s’y était mis lui-même, le roi atteignit neuf heures.

À neuf heures sonnantes, il passa dans son cabinet.

Les ambassadeurs entraient eux-mêmes, au premier coup de ces neuf heures.

Au dernier coup, les reines et Madame parurent.

Les ambassadeurs étaient trois pour la Hollande, deux pour l’Espagne.

Le roi jeta sur eux un coup d’œil, et salua.

En ce moment aussi, de Saint-Aignan entrait.

C’était pour le roi une entrée bien autrement importante que celle des ambassadeurs, en quelque nombre qu’ils fussent et de quelque pays qu’ils vinssent.

Aussi, avant toutes choses, le roi fit-il à de Saint-Aignan un signe interrogatif, auquel celui-ci répondit par une négation décisive.

Le roi faillit perdre tout courage ; mais, comme