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triche faisait joyeuse contenance, et, bien qu’elle devinât l’impatience du roi, elle prolongeait malicieusement son supplice par des reprises inattendues de conversation, au moment où le roi, retombé en lui-même, commençait à y caresser ses secrètes amours.

Tout cela, petits soins de la part de la reine, taquinerie de la part d’Anne d’Autriche, tout cela finit par sembler insupportable au roi, qui ne savait pas commander aux mouvements de son cœur.

Il se plaignit d’abord de la chaleur ; c’était un acheminement à d’autres plaintes.

Mais ce fut avec assez d’adresse pour que Marie-Thérèse ne devinât point son but.

Prenant donc ce que disait le roi au pied de la lettre, elle éventa Louis de ses plumes d’autruche.

Mais, la chaleur passée, le roi se plaignit de crampes et d’impatiences dans les jambes, et comme, justement, le carrosse s’arrêtait pour relayer :

— Voulez-vous que je descende avec vous ? demanda la reine. Moi aussi, j’ai les jambes inquiètes. Nous ferons quelques pas à pied, puis les carrosses nous rejoindront et nous y reprendrons notre place.

Le roi fronça le sourcil ; c’est une rude épreuve que fait subir à son infidèle la femme jalouse qui, quoique en proie à la jalousie, s’observe avec assez de puissance pour ne pas donner de prétexte à la colère.

Néanmoins, le roi ne pouvait refuser : il accepta donc, descendit, donna le bras à la reine, et fit avec elle plusieurs pas, tandis que l’on changeait de chevaux.

Tout en marchant, il jetait un coup d’œil envieux sur les courtisans qui avaient le bonheur de faire la route à cheval.

La reine s’aperçut bientôt que la promenade à pied ne plaisait pas plus au roi que le voyage en voiture. Elle demanda donc à remonter en carrosse.

Le roi la conduisit jusqu’au marchepied, mais ne remonta point avec elle. Il fit trois pas en arrière et chercha, dans la file des carrosses, à reconnaître celui qui l’intéressait si vivement.

À la portière du sixième, apparaissait la blanche figure de La Vallière.

Comme le roi, immobile à sa place, se perdait en rêveries sans voir que tout était prêt et que l’on n’attendait plus que lui, il entendit, à trois pas, une voix qui l’interpellait respectueusement. C’était M. de Malicorne, en costume complet d’écuyer, tenant sous son bras gauche la bride de deux chevaux.

— Votre Majesté a demandé un cheval ? dit-il.

— Un cheval ! Vous auriez un de mes chevaux, demanda le roi, qui essayait de reconnaître ce gentilhomme, dont la figure ne lui était pas encore familière.

— Sire, répondit Malicorne, j’ai au moins un cheval au service de Votre Majesté.

Et Malicorne indiqua le cheval bai de Monsieur, qu’avait remarqué Madame.

L’animal était superbe et royalement caparaçonné.

— Mais ce n’est pas un de mes chevaux, Monsieur ? dit le roi.

— Sire, c’est un cheval des écuries de Son Altesse Royale. Mais Son Altesse Royale ne monte pas à cheval quand il fait si chaud.

Le roi ne répondit rien, mais s’approcha vivement de ce cheval, qui creusait la terre avec son pied.

Malicorne fit un mouvement pour tenir l’étrier ; Sa Majesté était déjà en selle.

Rendu à la gaieté par cette bonne chance, le roi courut tout souriant au carrosse des reines qui l’attendaient, et malgré l’air effaré de Marie Thérèse :

— Ah ! ma foi ! dit-il, j’ai trouvé ce cheval et j’en profite. J’étouffais dans le carrosse. Au revoir, Mesdames.

Puis, s’inclinant gracieusement sur le col arrondi de sa monture, il disparut en une seconde.

Anne d’Autriche se pencha pour le suivre des yeux ; il n’allait pas bien loin, car, parvenu au sixième carrosse, il fit plier les jarrets de son cheval et ôta son chapeau.

Il saluait La Vallière, qui, à sa vue, poussa un petit cri de surprise, en même temps qu’elle rougissait de plaisir.

Montalais, qui occupait l’autre coin du carrosse, rendit au roi un profond salut. Puis, en femme d’esprit, elle feignit d’être très occupée du paysage, et se retira dans le coin à gauche.

La conversation du roi et de La Vallière commença comme toutes les conversations d’amants, par d’éloquents regards et par quelques mots d’abord vides de sens. Le roi expliqua comment il avait eu chaud dans son carrosse, à tel point qu’un cheval lui avait paru un bienfait.

— Et, ajouta-t-il, le bienfaiteur est un homme tout à fait intelligent, car il m’a deviné. Maintenant, il me reste un désir, c’est de savoir quel est le gentilhomme qui a servi si adroitement son roi, et l’a sauvé du cruel ennui où il était.

Montalais, pendant ce colloque qui, dès les premiers mots, l’avait réveillée, Montalais s’était approchée et s’était arrangée de façon à rencontrer le regard du roi vers la fin de sa phrase.

Il en résulta que, comme le roi regardait autant elle que La Vallière en interrogeant, elle put croire que c’était elle que l’on interrogeait, et, par conséquent, elle pouvait répondre.

Elle répondit donc :

— Sire, le cheval que monte Votre Majesté est un des chevaux de Monsieur, que conduisait en main un des gentilshommes de Son Altesse Royale.

— Et comment s’appelle ce gentilhomme, s’il vous plaît, Mademoiselle ?

— M. de Malicorne, sire.

Le nom fit son effet ordinaire.

— Malicorne ? répéta le roi en souriant.

— Oui, sire, répliqua Aure. Tenez, c’est ce cavalier qui galope ici à ma gauche.

Et elle indiquait, en effet, notre Malicorne, qui, d’un air béat, galopait à la portière de gauche, sachant bien qu’on parlait de lui en ce mo-