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— Moi ?

— Sans doute ; il est évident que vous n’êtes pas de mon avis, et que vous avez quelque chose à dire.

— Je n’ai à dire, Madame, qu’une seule chose.

— Dites-la !

— C’est que je ne comprends pas un mot de ce que vous me faites l’honneur de me raconter.

— Comment ! vous ne comprenez pas un mot à cette querelle de M. de Guiche avec M. de Wardes ? s’écria la princesse presque irritée.

Manicamp se tut.

— Querelle, continua-t-elle, née d’un propos plus ou moins malveillant et plus ou moins fondé sur la vertu de certaine dame ?

— Ah ! de certaine dame ? Ceci est autre chose, dit Manicamp.

— Vous commencez à comprendre, n’est-ce pas ?

— Votre Altesse m’excusera, mais je n’ose…

— Vous n’osez pas ? dit Madame exaspérée. Eh bien, attendez, je vais oser, moi.

— Madame, Madame ! s’écria Manicamp, comme s’il était effrayé, faites attention à ce que vous allez dire.

— Ah ! il paraît que, si j’étais un homme, vous vous battriez avec moi, malgré les édits de Sa Majesté, comme M. de Guiche s’est battu avec M. de Wardes, et cela pour la vertu de mademoiselle de La Vallière.

— De mademoiselle de La Vallière ! s’écria Manicamp en faisant un soubresaut subit comme s’il était à cent lieues de s’attendre à entendre prononcer ce nom.

— Oh ! qu’avez-vous donc, monsieur de Manicamp, pour bondir ainsi ? dit Madame avec ironie ; auriez-vous l’impertinence de douter, vous, de cette vertu ?

— Mais il ne s’agit pas le moins du monde, en tout cela, de la vertu de mademoiselle de La Vallière, Madame.

— Comment ! lorsque deux hommes se sont brûlé la cervelle pour une femme, vous dites qu’elle n’a rien à faire dans tout cela et qu’il n’est point question d’elle ? Ah ! je ne vous croyais pas si bon courtisan, monsieur de Manicamp.

— Pardon, pardon, Madame, dit le jeune homme, mais nous voilà bien loin de compte. Vous me faites l’honneur de me parler une langue, et moi, à ce qu’il paraît, j’en parle une autre.

— Plaît-il ?

— Pardon, j’ai cru comprendre que Votre Altesse me voulait dire que MM. de Guiche et de Wardes s’étaient battus pour mademoiselle de La Vallière.

— Mais oui.

— Pour mademoiselle de La Vallière, n’est-ce pas ? répéta Manicamp.

— Eh ! mon Dieu, je ne dis pas que M. de Guiche s’occupât en personne de mademoiselle de La Vallière ; je dis qu’il s’en est occupé par procuration.

— Par procuration !

— Voyons, ne faites donc pas toujours l’homme effaré. Ne sait-on pas ici que M. de Bragelonne est fiancé à mademoiselle de La Vallière, et qu’en partant pour la mission que le roi lui a confiée à Londres, il a chargé son ami, M. de Guiche, de veiller sur cette intéressante personne ?

— Ah ! je ne dis plus rien, Votre Altesse est instruite.

— De tout, je vous en préviens.

Manicamp se mit à rire, action qui faillit exaspérer la princesse, laquelle n’était pas, comme on le sait, d’une humeur bien endurante.

— Madame, reprit le discret Manicamp en saluant la princesse, enterrons toute cette affaire, qui ne sera jamais bien éclaircie.

— Oh ! quant à cela, il n’y a plus rien à faire, et les éclaircissements sont complets. Le roi saura que de Guiche a pris parti pour cette petite aventurière qui se donne des airs de grande dame ; il saura que M. de Bragelonne ayant nommé pour son gardien ordinaire du jardin des Hespérides son ami M. de Guiche, celui-ci a donné le coup de dent requis au marquis de Wardes, qui osait porter la main sur la pomme d’or. Or, vous n’êtes pas sans savoir, monsieur de Manicamp, vous qui savez si bien toutes choses, que le roi convoite de son côté le fameux trésor, et que peut-être saura-t-il mauvais gré à M. de Guiche de s’en constituer le défenseur. Êtes-vous assez renseigné maintenant, et vous faut-il un autre avis ? Parlez, demandez.

— Non, Madame, non je ne veux rien savoir de plus.

— Sachez cependant, car il faut que vous sachiez cela, monsieur de Manicamp, sachez que l’indignation de Sa Majesté sera suivie d’effets terribles. Chez les princes d’un caractère comme l’est celui du roi, la colère amoureuse est un ouragan.

— Que vous apaisez, vous, Madame.

— Moi ! s’écria la princesse avec un geste de violente ironie ; moi ! et à quel titre ?

— Parce que vous n’aimez pas les injustices, Madame.

— Et ce serait une injustice, selon vous, que d’empêcher le roi de faire ses affaires d’amour ?

— Vous intercéderez cependant en faveur de M. de Guiche.

— Eh ! cette fois vous devenez fou, Monsieur, dit la princesse d’un ton plein de hauteur.

— Au contraire, Madame, je suis dans mon meilleur sens, et, je le répète, vous défendrez M. de Guiche auprès du roi.

— Moi ?

— Oui.

— Et comment cela ?

— Parce que la cause de M. de Guiche, c’est la vôtre, Madame, dit tout bas avec ardeur Manicamp, dont les yeux venaient de s’allumer.

— Que voulez-vous dire ?

— Je dis, Madame, que, dans le nom de La Vallière, à propos de cette défense prise par M. de Guiche pour M. de Bragelonne absent, je m’étonne que Votre Altesse n’ait pas deviné un prétexte.

— Un prétexte ?

— Oui.

— Mais un prétexte à quoi ? répéta en bal-