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Aussi alla-t-il à de Guiche aussitôt qu’il en eut fini avec les autres.

Tous deux échangèrent les compliments les plus courtois ; après quoi, de Wardes revint à Monsieur et aux autres gentilshommes.

Au milieu de toutes ces félicitations de bon retour, on annonça Madame.

Madame avait appris l’arrivée de de Wardes. Elle savait tous les détails de son voyage et de son duel avec Buckingham. Elle n’était pas fâchée d’être là aux premières paroles qui devaient être prononcées par celui qu’elle savait son ennemi.

Elle avait deux ou trois dames d’honneur avec elle.

De Wardes fit à Madame les plus gracieux saluts, et annonça tout d’abord, pour commencer les hostilités, qu’il était prêt à donner des nouvelles de M. de Buckingham à ses amis.

C’était une réponse directe à la froideur avec laquelle Madame l’avait accueilli.

L’attaque était vive, Madame sentit le coup sans paraître l’avoir reçu. Elle jeta rapidement les yeux sur Monsieur et sur de Guiche.

Monsieur rougit, de Guiche pâlit.

Madame seule ne changea point de physionomie ; mais, comprenant combien cet ennemi pouvait lui susciter de désagréments près des deux personnes qui l’écoutaient, elle se pencha en souriant du côté du voyageur.

Le voyageur parlait d’autre chose.

Madame était brave, imprudente même : toute retraite la jetait en avant. Après le premier serrement de cœur, elle revint au feu.

— Avez-vous beaucoup souffert de vos blessures, monsieur de Wardes ? demanda-t-elle ; car nous avons appris que vous aviez eu la mauvaise chance d’être blessé.

Ce fut au tour de de Wardes de tressaillir ; il se pinça les lèvres.

— Non, Madame, dit-il, presque pas.

— Cependant, par cette horrible chaleur…

— L’air de la mer est frais, Madame, et puis j’avais une consolation.

— Oh ! tant mieux !… Laquelle ?

— Celle de savoir que mon adversaire souffrait plus que moi.

— Ah ! il a été blessé plus grièvement que vous ? J’ignorais cela, dit la princesse avec une complète insensibilité.

— Oh ! Madame, vous vous trompez, ou plutôt vous faites semblant de vous tromper à mes paroles. Je ne dis pas que son corps ait plus souffert que moi ; mais son cœur était atteint.

De Guiche comprit où tendait la lutte ; il hasarda un signe à Madame : ce signe la suppliait d’abandonner la partie.

Mais elle, sans répondre à de Guiche, sans faire semblant de le voir, et toujours souriante :

— Eh quoi ! demanda-t-elle, M. de Buckingham avait-il donc été touché au cœur ? Je ne croyais pas, moi, jusqu’à présent, qu’une blessure au cœur se pût guérir.

— Hélas ! madame, répondit gracieusement de Wardes, les femmes croient toutes cela, et c’est ce qui leur donne sur nous la supériorité de la confiance.

— Ma mie, vous comprenez mal, fit le prince impatient. M. de Wardes veut dire que le duc de Buckingham avait été touché au cœur par autre chose que par une épée.

— Ah ! bien ! bien ! s’écria Madame. Ah ! c’est une plaisanterie de M. de Wardes ; fort bien ; seulement je voudrais savoir si M. de Buckingham goûterait cette plaisanterie. En vérité, c’est bien dommage qu’il ne soit point là, monsieur de Wardes.

Un éclair passa dans les yeux du jeune homme.

— Oh ! dit-il les dents serrées, je le voudrais aussi, moi.

De Guiche ne bougea pas.

Madame semblait attendre qu’il vînt à son secours.

Monsieur hésitait.

Le chevalier de Lorraine s’avança et prit la parole.

— Madame, dit-il, de Wardes sait bien que, pour un Buckingham, être touché au cœur n’est pas chose nouvelle, et que ce qu’il a dit s’est vu déjà.

— Au lieu d’un allié, deux ennemis, murmura Madame, deux ennemis ligués, acharnés !

Et elle changea la conversation.

Changer de conversation est, on le sait, un droit des princes, que l’étiquette ordonne de respecter.

Le reste de l’entretien fut donc modéré ; les principaux acteurs avaient fini leurs rôles.

Madame se retira de bonne heure, et Monsieur, qui voulait l’interroger, lui donna la main.

Le chevalier craignait trop que la bonne intelligence ne s’établît entre les deux époux pour les laisser tranquillement ensemble.

Il s’achemina donc vers l’appartement de Monsieur pour le surprendre à son retour, et détruire avec trois mots toutes les bonnes impressions que Madame aurait pu semer dans son cœur. De Guiche fit un pas vers de Wardes, que beaucoup de gens entouraient.

Il lui indiquait ainsi le désir de causer avec lui. De Wardes lui fit, des yeux et de la tête, signe qu’il le comprenait.

Ce signe, pour les étrangers, n’avait rien que d’amical.

Alors de Guiche put se retourner et attendre.

Il n’attendit pas longtemps. De Wardes, débarrassé de ses interlocuteurs, s’approcha de de Guiche, et tous deux, après un nouveau salut, se mirent à marcher côte à côte.

— Vous avez fait un bon retour, mon cher de Wardes ? dit le comte.

— Excellent, comme vous voyez.

— Et vous avez toujours l’esprit très gai ?

— Plus que jamais.

— C’est un grand bonheur.

— Que voulez-vous ! tout est si bouffon dans ce monde, tout est si grotesque autour de nous !

— Vous avez raison.

— Ah ! vous êtes donc de mon avis ?

— Parbleu ! Et vous nous apportez des nouvelles de là-bas ?

— Non, ma foi ! j’en viens chercher ici.

— Parlez. Vous avez cependant vu du monde à Boulogne, un de nos amis, et il n’y a pas si longtemps de cela.

— Du monde ?… un de nos amis ?…