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la lumière, il relut une troisième fois cette lettre, dont les lignes brûlaient à la fois son esprit et ses yeux.

« Calais.
« Mon cher comte,

« J’ai trouvé à Calais M. de Wardes, qui a été blessé grièvement dans une affaire avec M. de Buckingham.

« C’est un homme brave, comme vous savez, que de Wardes, mais haineux et méchant.

« Il m’a entretenu de vous, pour qui, dit-il, son cœur a beaucoup de penchant ; de Madame, qu’il trouve belle et aimable…

« Il a deviné votre amour pour la personne que vous savez.

« Il m’a aussi entretenu d’une personne que j’aime, et m’a témoigné le plus vif intérêt en me plaignant fort, le tout avec des obscurités qui m’ont effrayé d’abord, mais que j’ai fini par prendre pour les résultats de ses habitudes de mystère.

« Voici le fait :

« Il aurait reçu des nouvelles de la cour. Vous comprenez que ce n’est que par M. de Lorraine.

« On s’entretient, disent ses nouvelles, d’un changement survenu dans l’affection du roi.

« Vous savez qui cela regarde.

« Ensuite, disaient encore ses nouvelles, on parle d’une fille d’honneur qui donne sujet à la médisance.

« Ces phrases vagues ne m’ont point permis de dormir. J’ai déploré depuis hier que mon caractère droit et faible, malgré une certaine obstination, m’ait laissé sans réplique à ces insinuations.

« En un mot, M. de Wardes partait pour Paris ; je n’ai point retardé son départ avec des explications ; et puis il me paraissait dur, je l’avoue, de mettre à la question un homme dont les blessures sont à peine fermées.

« Bref, il est parti à petites journées, parti pour assister, dit-il, au curieux spectacle que la cour ne peut manquer d’offrir sous peu de temps.

« Il a ajouté à ces paroles certaines félicitations, puis certaines condoléances. Je n’ai pas plus compris les unes que les autres. J’étais étourdi par mes pensées et par une défiance envers cet homme, défiance, vous le savez mieux que personne, que je n’ai jamais pu surmonter.

« Mais, lui parti, mon esprit s’est ouvert.

« Il est impossible qu’un caractère comme celui de de Wardes n’ait pas infiltré quelque peu de sa méchanceté dans les rapports que nous avons eus ensemble.

« Il est donc impossible que, dans toutes les paroles mystérieuses que M. de Wardes m’a dites, il n’y ait point un sens mystérieux dont je puisse me faire l’application à moi ou à qui vous savez.

« Forcé que j’étais de partir promptement pour obéir au roi, je n’ai point eu l’idée de courir après M. de Wardes pour obtenir l’explication de ses réticences ; mais je vous expédie un courrier et vous écris cette lettre, qui vous exposera tous mes doutes. Vous, c’est moi : j’ai pensé, vous agirez.

« M. de Wardes arrivera sous peu : sachez ce qu’il a voulu dire, si déjà vous ne le savez.

« Au reste M. de Wardes a prétendu que M. de Buckingham avait quitté Paris comblé par Madame ; c’est une affaire qui m’eût immédiatement mis l’épée à la main sans la nécessité où je crois me trouver de faire passer le service du roi avant toute querelle.

« Brûlez cette lettre, que vous remet Olivain.

« Qui dit Olivain, dit la sûreté même.

« Veuillez, je vous prie, mon cher comte, me rappeler au souvenir de mademoiselle de La Vallière, dont je baise respectueusement les mains.

« Vous, je vous embrasse.

Vicomte de Bragelonne

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« P.-S. Si quelque chose de grave survenait, tout doit se prévoir, cher ami, expédiez-moi un courrier avec ce seul mot : « Venez, » et je serai à Paris trente-six heures après votre lettre reçue. »

De Guiche soupira, replia la lettre une troisième fois, et, au lieu de la brûler, comme le lui avait recommandé Raoul, il la remit dans sa poche.

Il avait besoin de la lire et de la relire encore.

— Quel trouble et quelle confiance à la fois, murmura le comte ; toute l’âme de Raoul est dans cette lettre ; il y oublie le comte de La Fère, et il y parle de son respect pour Louise ! Il m’avertit pour moi, il me supplie pour lui. Ah ! continua de Guiche avec un geste menaçant, vous vous mêlez de mes affaires, monsieur de Wardes ? Eh bien, je vais m’occuper des vôtres. Quant à toi, pauvre Raoul, ton cœur me laisse un dépôt ; je veillerai sur lui, ne crains rien.

Cette promesse faite, de Guiche fit prier Malicorne de passer chez lui sans retard, s’il était possible.

Malicorne se rendit à l’invitation avec une activité qui était le premier résultat de sa conversation avec Montalais.

Plus de Guiche, qui se croyait couvert, questionna Malicorne, plus celui-ci, qui travaillait à l’ombre, devina son interrogateur.

Il s’ensuivit que, après un quart d’heure de conversation, pendant lequel de Guiche crut découvrir toute la vérité sur La Vallière et sur le roi, il n’apprit absolument rien que ce qu’il avait vu de ses yeux ; tandis que Malicorne apprit ou devina, comme on voudra, que Raoul avait de la défiance à distance, et que Guiche allait veiller sur le trésor des Hespérides.

Malicorne accepta d’être le dragon.

De Guiche crut avoir tout fait pour son ami et ne s’occupa plus que de soi.

On annonça le lendemain au soir le retour de de Wardes, et sa première apparition chez le roi.

Après sa visite, le convalescent devait se rendre chez Monsieur.

De Guiche se rendit chez Monsieur avant l’heure.