Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que tout le reste de la meute ne suit que la fumée des limiers.

Mesdames et la reine examinaient les toilettes de leurs filles et de leurs dames d’honneur, ainsi que celles des autres dames ; et elles daignaient oublier qu’elles étaient reines pour se souvenir qu’elles étaient femmes.

C’est-à-dire qu’elles déchiraient impitoyablement tout porte-jupe, comme eût dit Molière.

Les regards des deux princesses tombèrent simultanément sur La Vallière, qui, ainsi que nous l’avons dit, était fort entourée en ce moment. Madame fut sans pitié.

— En vérité, dit-elle en se penchant vers la reine mère, si le sort était juste, il favoriserait cette pauvre petite La Vallière.

— Ce n’est pas possible, dit la reine mère en souriant.

— Comment cela ?

— Il n’y a que deux cents billets, de sorte que tout le monde n’a pu être porté sur la liste.

— Elle n’y est pas alors ?

— Non.

— Quel dommage ! Elle eût pu les gagner et les vendre.

— Les vendre ? s’écria la reine.

— Oui, cela lui aurait fait une dot, et elle n’eût pas été obligée de se marier sans trousseau, comme cela arrivera probablement.

— Ah bah ! vraiment ? Pauvre petite ! dit la reine mère, n’a-t-elle pas de robes ?

Et elle prononça ces mots en femme qui n’a jamais pu savoir ce que c’était que la médiocrité.

— Dame ! voyez : je crois, Dieu me pardonne, qu’elle a la même jupe ce soir qu’elle avait ce matin à la promenade, et qu’elle aura pu conserver, grâce au soin que le roi a pris de la mettre à l’abri de la pluie.

Au moment même où Madame prononçait ces paroles, le roi entrait.

Les deux princesses ne se fussent peut-être point aperçues de cette arrivée, tant elles étaient occupées à médire. Mais Madame vit tout à coup La Vallière, qui était debout en face de la galerie, se troubler et dire quelques mots aux courtisans qui l’entouraient ; ceux-ci s’écartèrent aussitôt. Ce mouvement ramena les yeux de Madame vers la porte. En ce moment, le capitaine des gardes annonça le roi.

À cette annonce, La Vallière, qui jusque-là avait tenu les yeux fixés sur la galerie, les abaissa tout à coup.

Le roi entra.

Il était vêtu avec une magnificence pleine de goût, et causait avec Monsieur et le duc de Roquelaure, qui tenaient, Monsieur sa droite, le duc de Roquelaure sa gauche.

Le roi s’avança d’abord vers les reines, qu’il salua avec un gracieux respect. Il prit la main de sa mère, qu’il baisa, adressa quelques compliments à Madame sur l’élégance de sa toilette, et commença de faire le tour de l’assemblée.

La Vallière fut saluée comme les autres, pas plus, pas moins que les autres.

Puis Sa Majesté revint à sa mère et à sa femme.

Lorsque les courtisans virent que le roi n’avait adressé qu’une phrase banale à cette jeune fille si recherchée le matin, ils tirèrent sur-le-champ une conclusion de cette froideur.

Cette conclusion fut que le roi avait eu un caprice, mais que ce caprice était déjà évanoui.

Cependant on eût dû remarquer une chose, c’est que, près de La Vallière, au nombre des courtisans, se trouvait M. Fouquet, dont la respectueuse politesse servit de maintien à la jeune fille, au milieu des différentes émotions qui l’agitaient visiblement.

M. Fouquet s’apprêtait, au reste, à causer plus intimement avec mademoiselle de La Vallière, lorsque M. Colbert s’approcha, et, après avoir fait sa révérence à Fouquet, dans toutes les règles de la politesse la plus respectueuse, il parut décidé à s’établir près de La Vallière pour lier conversation avec elle. Fouquet quitta aussitôt la place.

Tout ce manège était dévoré des yeux par Montalais et par Malicorne, qui se renvoyaient l’un à l’autre leurs observations.

De Guiche, placé dans une embrasure de fenêtre, ne voyait que Madame. Mais comme Madame, de son côté, arrêtait fréquemment son regard sur La Vallière, les yeux de de Guiche, guidés par les yeux de Madame, se portaient de temps en temps aussi sur la jeune fille.

La Vallière sentit instinctivement s’alourdir sur elle le poids de tous ces regards, chargés, les uns d’intérêt, les autres d’envie. Elle n’avait, pour compenser cette souffrance, ni un mot d’intérêt de la part de ses compagnes, ni un regard d’amour du roi.

Aussi ce que souffrait la pauvre enfant, nul ne pourrait l’exprimer. La reine mère fit alors approcher le guéridon sur lequel étaient les billets de loterie, au nombre de deux cents, et pria madame de Motteville de lire la liste des élus.

Il va sans dire que cette liste était dressée selon les lois de l’étiquette : le roi venait d’abord, puis la reine mère, puis la reine, puis Monsieur, puis Madame, et ainsi de suite.

Les cœurs palpitaient à cette lecture. Il y avait bien trois cents invités chez la reine. Chacun se demandait si son nom devait rayonner au nombre des noms privilégiés.

Le roi écoutait avec autant d’attention que les autres.

Le dernier nom prononcé, il vit que La Vallière n’avait pas été portée sur la liste.

Chacun, au reste, put remarquer cette omission.

Le roi rougit comme lorsqu’une contrariété l’assaillait.

La Vallière, douce et résignée, ne témoigna rien.

Pendant toute la lecture, le roi ne l’avait point quittée du regard ; la jeune fille se dilatait sous cette heureuse influence qu’elle sentait rayonner autour d’elle, trop joyeuse et trop pure qu’elle était pour qu’une pensée autre que d’amour pénétrât dans son esprit ou dans son cœur.

Payant par la durée de son attention cette touchante abnégation, le roi montrait à son