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— C’est vrai, murmura Aramis à l’oreille de Fouquet, et il n’y doit pas être habitué.

— Mais, répondit Fouquet, si elle fait une pareille réponse à mon billet ?

— Bon ! dit Aramis, ne préjugeons pas et attendons la fin.

— Et puis, cher Monsieur d’Herblay, ajouta le surintendant, peu payé pour croire à tous les sentiments que venait d’exprimer La Vallière, c’est un habile calcul souvent que de paraître désintéressé avec les rois.

— C’est justement ce que je pensais à la minute, dit Aramis. Écoutons.

Le roi se rapprocha de La Vallière, et comme l’eau filtrait de plus en plus à travers le feuillage du chêne, il tint son chapeau suspendu au-dessus de la tête de la jeune fille.

La jeune fille leva ses beaux yeux bleus vers ce chapeau royal qui l’abritait et secoua la tête en poussant un soupir.

— Oh ! mon Dieu ! dit le roi, quelle triste pensée peut donc parvenir jusqu’à votre cœur quand je lui fais un rempart du mien.

— Sire, je vais vous le dire. J’avais déjà abordé cette question, si difficile à discuter par une jeune fille de mon âge, mais Votre Majesté m’a imposé silence. Sire, Votre Majesté ne s’appartient pas ; sire, Votre Majesté est mariée ; tout sentiment qui écarterait Votre Majesté de la reine, en portant Votre Majesté à s’occuper de moi, serait pour la reine la source d’un profond chagrin.

Le roi essaya d’interrompre la jeune fille, mais elle continua avec un geste suppliant :

— La reine aime Votre Majesté avec une tendresse qui se comprend, la reine suit des yeux Votre Majesté à chaque pas qui l’écarte d’elle. Ayant eu le bonheur de rencontrer un tel époux, elle demande au ciel avec des larmes de lui en conserver la possession, et elle est jalouse du moindre mouvement de votre cœur.

Le roi voulut parler encore, mais cette fois encore La Vallière osa l’arrêter.

— Ne serait-ce pas une bien coupable action, lui dit-elle, si, voyant une tendresse si vive et si noble, Votre Majesté donnait à la reine un sujet de jalousie ? Oh ! pardonnez-moi ce mot, sire. Oh ! mon Dieu ! je sais bien qu’il est impossible, ou plutôt qu’il devrait être impossible que la plus grande reine du monde fût jalouse d’une pauvre fille comme moi. Mais elle est femme, cette reine, et comme celui d’une simple femme, son cœur peut s’ouvrir à des soupçons que les méchants envenimeraient. Au nom du ciel ! sire, ne vous occupez donc pas de moi, je ne le mérite pas.

— Oh ! Mademoiselle, s’écria le roi, vous ne songez donc point qu’en parlant comme vous le faites, vous changez mon estime en admiration.

— Sire, vous prenez mes paroles pour ce qu’elles ne sont point ; vous me voyez meilleure que je ne suis ; vous me faites plus grande que Dieu ne m’a faite. Grâce pour moi, sire ! car, si je ne savais le roi le plus généreux homme de son royaume, je croirais que le roi veut se railler de moi.

— Oh ! certes ! vous ne craignez pas une pareille chose, j’en suis certain, s’écria Louis.

— Sire, je serais forcée de le croire si le roi continuait à me tenir un pareil langage.

— Je suis donc un bien malheureux prince, dit le roi avec une tristesse qui n’avait rien d’affecté, le plus malheureux prince de la chrétienté, puisque je n’ai pas pouvoir de donner créance à mes paroles devant la personne que j’aime le plus au monde et qui me brise le cœur en refusant de croire à mon amour.

— Oh ! sire, dit La Vallière écartant doucement le roi, qui s’était de plus rapproché d’elle, voilà, je crois, l’orage qui se calme et la pluie qui cesse.

Mais, au moment même où la pauvre enfant, pour fuir son pauvre cœur, trop d’accord sans doute avec celui du roi, prononçait ces paroles, l’orage se chargeait de lui donner un démenti ; un éclair bleuâtre illumina la forêt d’un reflet fantastique, et un coup de tonnerre pareil à une décharge d’artillerie éclata sur la tête des deux jeunes gens, comme si la hauteur du chêne qui les abritait eût provoqué le tonnerre.

La jeune fille ne put retenir un cri d’effroi.

Le roi d’une main la rapprocha de son cœur et étendit l’autre au-dessus de sa tête comme pour la garantir de la foudre.

Il y eut un moment de silence où ce groupe, charmant comme tout ce qui est jeune et aimé, demeura immobile, tandis que Fouquet et Aramis le contemplaient, non moins immobiles que La Vallière et le roi.

— Oh ! sire ! sire ! murmura La Vallière, entendez-vous ?

Et elle laissa tomber sa tête sur son épaule.

— Oui, dit le roi, vous voyez bien que l’orage ne se passe pas.

— Sire, c’est un avertissement.

Le roi sourit.

— Sire, c’est la voix de Dieu qui menace.

— Eh bien, dit le roi, j’accepte effectivement ce coup de tonnerre pour un avertissement et même pour une menace, si d’ici à cinq minutes il se renouvelle avec une pareille force et une égale violence ; mais, s’il n’en est rien, permettez-moi de penser que l’orage est l’orage et rien autre chose.

Et en même temps le roi leva la tête comme pour interroger le ciel.

Mais, comme si le ciel eût été complice de Louis, pendant les cinq minutes de silence qui suivirent l’explosion qui avait épouvanté les deux amants, aucun grondement nouveau ne se fit entendre, et, lorsque le tonnerre retentit de nouveau, ce fut en s’éloignant d’une manière visible, et, comme si pendant ces cinq minutes, l’orage, mis en fuite, eût parcouru dix lieues, fouetté par l’aile du vent.

— Eh bien ! Louise, dit tout bas le roi, me menacerez-vous encore de la colère céleste ; et puisque vous avez voulu faire de la foudre un pressentiment, douterez-vous encore que ce ne soit pas au moins un pressentiment de malheur ?

La jeune fille releva la tête ; pendant ce temps, l’eau avait percé la voûte de feuillage et ruisselait sur le visage du roi.

— Oh ! sire, sire ! dit-elle avec un accent de