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fait sur la route, le roi, après un gracieux sourire, salua et tourna bride, laissant filer le carrosse de la reine, puis celui des premières dames d’honneur, puis tous les autres successivement qui, le voyant s’arrêter, voulaient s’arrêter à leur tour.

Mais le roi leur faisait signe de la main qu’ils eussent à continuer leur chemin.

Lorsque passa le carrosse de La Vallière, le roi s’en approcha.

Le roi salua les dames et se disposait à suivre le carrosse des filles d’honneur de la reine comme il avait suivi celui de Madame, lorsque la file des carrosses s’arrêta tout à coup.

Sans doute la reine, inquiète de l’éloignement du roi, venait de donner l’ordre d’accomplir cette évolution.

On se rappelle que la direction de la promenade lui avait été accordée.

Le roi lui fit demander quel était son désir en arrêtant les voitures.

— De marcher à pied, répondit-elle.

Sans doute espérait-elle que le roi, qui suivait à cheval le carrosse des filles d’honneur, n’oserait à pied suivre les filles d’honneur elles-mêmes.

On était au milieu de la forêt.

La promenade, en effet, s’annonçait belle, belle surtout pour des rêveurs ou des amants.

Trois belles allées, longues, ombreuses et accidentées, partaient du petit carrefour où l’on venait de faire halte.

Ces allées, vertes de mousse, dentelées de feuillage, ayant chacune un petit horizon d’un pied de ciel entrevu sous l’entrelacement des arbres, voilà quel était l’aspect des localités.

Au fond de ces allées passaient et repassaient, avec des signes manifestes d’inquiétude, les chevreuils effarés, qui, après s’être arrêtés un instant au milieu du chemin et avoir relevé la tête, fuyaient comme des flèches, rentrant d’un seul bond dans l’épaisseur des bois, où ils disparaissaient, tandis que, de temps en temps, un lapin philosophe, debout sur son derrière, se grattant le museau avec les pattes de devant et interrogeant l’air pour reconnaître si tous ces gens qui s’approchaient et qui venaient troubler ainsi ses méditations, ses repas et ses amours, n’étaient pas suivis par quelque chien à jambes torses ou ne portaient point quelque fusil sous le bras.

Toute la compagnie, au reste, était descendue de carrosse en voyant descendre la reine.

Marie-Thérèse prit le bras d’une de ses dames d’honneur, et, après un oblique coup d’œil donné au roi, qui ne parut point s’apercevoir qu’il fût le moins du monde l’objet de l’attention de la reine, elle s’enfonça dans la forêt par le premier sentier qui s’ouvrit devant elle.

Deux piqueurs marchaient devant Sa Majesté avec des cannes dont ils se servaient pour relever les branches ou écarter les ronces qui pouvaient embarrasser le chemin.

En mettant pied à terre, Madame trouva à ses côtés M. de Guiche, qui s’inclina devant elle et se mit à sa disposition.

Monsieur, enchanté de son bain de la surveille, avait déclaré qu’il optait pour la rivière, et, tout en donnant congé à de Guiche, il était resté au château avec le chevalier de Lorraine et Manicamp.

Il n’éprouvait plus ombre de jalousie.

On l’avait donc cherché inutilement dans le cortège ; mais, comme Monsieur était un prince fort personnel, qui concourait d’habitude fort médiocrement au plaisir général, son absence avait été plutôt un sujet de satisfaction que de regret.

Chacun avait suivi l’exemple donné par la reine et par Madame, s’accommodant à sa guise, selon le hasard ou selon son goût.

Le roi, nous l’avons dit, était demeuré près de La Vallière, et, descendant de cheval au moment où l’on ouvrait la portière du carrosse, il lui avait offert la main.

Aussitôt Montalais et Tonnay-Charente s’étaient éloignées, la première par calcul, la seconde par discrétion.

Seulement, il y avait cette différence entre elles deux que l’une s’éloignait dans le désir d’être agréable au roi, et l’autre dans celui de lui être désagréable.

Pendant la dernière demi-heure, le temps, lui aussi, avait pris ses dispositions : tout ce voile, comme poussé par un vent de chaleur, s’était massé à l’occident ; puis, repoussé par un courant contraire, s’avançait lentement, lourdement.

On sentait s’approcher l’orage ; mais, comme le roi ne le voyait pas, personne ne se croyait le droit de le voir.

La promenade fut donc continuée ; quelques esprits inquiets levaient de temps en temps les yeux au ciel.

D’autres, plus timides encore, se promenaient sans s’écarter des voitures, où ils comptaient aller chercher un abri en cas d’orage.

Mais la plus grande partie du cortège, en voyant le roi entrer bravement dans le bois avec La Vallière, la plus grande partie du cortège, disons-nous, suivit le roi.

Ce que voyant le roi, il prit la main de La Vallière et l’entraîna dans une allée latérale, où cette fois personne n’osa le suivre.

CXXXVI

LA PLUIE.


En ce moment, dans la direction même que venaient de prendre le roi et La Vallière seulement, marchant sous bois au lieu de suivre l’allée, deux hommes marchaient fort insoucieux de l’état du ciel.

Ils tenaient leurs têtes inclinées comme des gens qui pensent à de graves intérêts.

Ils n’avaient vu ni de Guiche, ni Madame, ni le roi, ni La Vallière.

Tout à coup quelque chose passa dans l’air comme une bouffée de flammes suivies d’un grondement sourd et lointain.

— Ah ! dit l’un des deux en relevant la tête,