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exilé que je prends sur moi de vous recommander. Faites bien attention, je vous prie, qu’il est de mes meilleurs amis, et que votre accueil me touchera beaucoup.

— Quel exilé ? quel disgracié ? demanda Madame en regardant tout autour d’elle et sans plus s’arrêter au comte qu’aux autres.

C’était le moment de pousser son protégé. Le prince s’effaça et laissa passer de Guiche, qui, d’un air assez maussade, s’approcha de Madame et lui fit sa révérence.

— Eh quoi ! demanda Madame, comme si elle éprouvait le plus vif étonnement, c’est M. le comte de Guiche qui est le disgracié, l’exilé ?

— Oui-da ! reprit le duc.

— Eh ! dit Madame, on ne voit que lui ici.

— Ah ! Madame, vous êtes injuste, fit le prince.

— Moi ?

— Sans doute. Voyons, pardonnez-lui, à ce pauvre garçon.

— Lui pardonner quoi ? qu’ai-je donc à pardonner à M. de Guiche, moi ?

— Mais, au fait, explique-toi, de Guiche. Que veux-tu qu’on te pardonne ? demanda le prince.

— Hélas ! Son Altesse Royale le sait bien, répliqua celui-ci hypocritement.

— Allons, allons, donnez-lui votre main, Madame, dit Philippe.

— Si cela vous fait plaisir, Monsieur.

Et, avec un indescriptible mouvement des yeux et des épaules, Madame tendit sa belle main parfumée au jeune homme, qui y appuya ses lèvres.

Il faut croire qu’il les appuya longtemps et que Madame ne retira pas trop vite sa main, car le duc ajouta :

— De Guiche n’est point méchant, Madame, et il ne vous mordra certainement pas.

On prit prétexte, dans la galerie, de ce mot, qui n’était peut-être pas fort risible, pour rire à l’excès.

En effet, la situation était remarquable, et quelques bonnes âmes l’avaient remarqué.

Monsieur jouissait donc encore de l’effet de son mot quand on annonça le roi.

En ce moment, l’aspect du salon était celui que nous allons essayer de décrire.

Au centre, devant la cheminée encombrée de fleurs, se tenait Madame, avec ses demoiselles d’honneur formées en deux ailes, sur les lignes desquelles voltigeaient les papillons de cour.

D’autres groupes occupaient les embrasures des fenêtres, comme font dans leurs tours réciproques les postes d’une même garnison, et, de leurs places respectives, percevaient les mots partis du groupe principal.

De l’un de ces groupes, le plus rapproché de la cheminée, Malicorne, promu, séance tenante, par Manicamp et de Guiche au poste de maître des appartements ; Malicorne, dont l’habit d’officier était prêt depuis tantôt deux mois, flamboyait dans ses dorures et rayonnait sur Montalais, extrême gauche de Madame, avec tout le feu de ses yeux et tout le reflet de son velours.

Madame causait avec madame de Châtillon et madamemoiselle de Créqui, ses deux voisines, et renvoyait quelques paroles à Monsieur, qui s’effaça aussitôt que cette annonce fut faite :

— Le roi !

Mademoiselle de La Vallière était, comme Montalais, à la gauche de Madame, c’est-à-dire l’avant-dernière de la ligne ; à sa droite, on avait placé mademoiselle de Tonnay-Charente. Elle se trouvait donc dans la situation de ces corps de troupe dont on soupçonne la faiblesse, et que l’on place entre deux forces éprouvées.

Ainsi flanquée de ses deux compagnes d’aventures, La Vallière, soit qu’elle fût chagrine de voir partir Raoul, soit qu’elle fût encore émue des événements récents qui commençaient à populariser son nom dans le monde des courtisans ; La Vallière, disons-nous, cachait derrière son éventail ses yeux un peu rougis, et paraissait prêter une grande attention aux paroles que Montalais et Athénaïs lui glissaient alternativement dans l’une et l’autre oreille.

Lorsque le nom du roi retentit, un grand mouvement se fit dans le salon.

Madame, comme la maîtresse du logis, se leva pour recevoir le royal visiteur ; mais, en se levant, si préoccupée qu’elle dût être, elle lança un regard à sa droite, et ce regard que le présomptueux de Guiche interpréta comme envoyé à son adresse, s’arrêta pourtant en faisant le tour du cercle sur La Vallière, dont il put remarquer la vive rougeur et l’inquiète émotion.

Le roi entra au milieu du groupe, devenu général par un mouvement qui s’opéra naturellement de la circonférence au centre.

Tous les fronts s’abaissaient devant Sa Majesté, les femmes ployant, comme de frêles et magnifiques lis devant le roi Aquilo.

Sa Majesté n’avait rien de farouche, nous pourrions même dire rien de royal ce soir-là, n’étaient cependant sa jeunesse et sa beauté.

Certain air de joie vive et de bonne disposition mit en éveil toutes les cervelles ; et voilà que chacun se promit une charmante soirée, rien qu’à voir le désir qu’avait Sa Majesté de s’amuser chez Madame.

Si quelqu’un pouvait, par sa joie et sa belle humeur, balancer le roi, c’était M. de Saint-Aignan, rose d’habits, de figure et de rubans, rose d’idées surtout, et, ce soir-là, M. de Saint-Aignan avait beaucoup d’idées.

Ce qui avait donné une floraison à toutes ces idées qui germaient dans son esprit riant, c’est qu’il venait de s’apercevoir que mademoiselle de Tonnay-Charente était comme lui vêtue de rose. Nous ne voudrions pas dire cependant que le rusé courtisan ne sût pas d’avance que la belle Athénaïs dût revêtir cette couleur : il connaissait très-bien l’art de faire jaser un tailleur ou une femme de chambre sur les projets de sa maîtresse.

Il envoya tout autant d’œillades assassines à mademoiselle Athénaïs qu’il avait de nœuds de rubans aux chausses et au pourpoint, c’est-à-dire qu’il en décocha une quantité furieuse.

Le roi ayant fait ses compliments à Madame, et Madame ayant été invitée à s’asseoir, le cercle se forma aussitôt.

Louis demanda à Monsieur des nouvelles du bain ; il raconta, tout en regardant les dames, que des poëtes s’occupaient de mettre en vers ce