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— Mon Dieu, mon Dieu ! murmura Louise toute tremblante, survivrai-je à cette cruelle soirée.

— Oh ! ne vous effarouchez point ainsi, dit Athénaïs, nous avons le remède.

Et, s’asseyant entre ses deux compagnes, à qui elle prit chacune une main qu’elle réunit dans les siennes, elle commença.

Sur le chuchotement de ses premières paroles, on eût pu entendre le bruit d’un cheval qui galopait sur le pavé de la grande route, hors des grilles du château.



CXXIX

HEUREUX COMME UN PRINCE.


Au moment où il allait entrer au château, Bragelonne avait rencontré de Guiche.

Mais, avant d’être rencontré par Raoul, de Guiche avait rencontré Manicamp, lequel avait rencontré Malicorne.

Comment Malicorne avait-il rencontré Manicamp ? Rien de plus simple : il l’avait attendu à son retour de la messe, à laquelle il avait été en compagnie de M. de Saint-Aignan.

Réunis, ils s’étaient félicités sur cette bonne fortune, et Manicamp avait profité de la circonstance pour demander à son ami si quelques écus n’étaient pas restés au fond de sa poche.

Celui-ci, sans s’étonner de la question, à laquelle il s’attendait peut-être, avait répondu que toute poche dans laquelle on puise toujours sans jamais y rien mettre ressemble aux puits qui fournissent encore de l’eau pendant l’hiver, mais que les jardiniers finissent par épuiser l’été ; que sa poche, à lui, Malicorne, avait certainement de la profondeur, et qu’il y aurait plaisir à y puiser en temps d’abondance, mais que, malheureusement, l’abus avait amené la stérilité.

Ce à quoi Manicamp, tout rêveur, avait répliqué :

— C’est juste.

— Il s’agirait donc de la remplir, avait ajouté Malicorne.

— Sans doute ; mais comment ?

— Mais rien de plus facile, cher monsieur Manicamp.

— Bon ! Dites.

— Un office chez Monsieur, et la poche est pleine.

— Cet office, vous l’avez ?

— C’est-à-dire que j’en ai le titre.

— Eh bien ?

— Oui ; mais le titre sans l’office, c’est la bourse sans l’argent.

— C’est juste, avait répondu une seconde fois Manicamp.

— Poursuivons donc l’office, avait insisté le titulaire.

— Cher, très-cher, soupira Manicamp, un office chez Monsieur, c’est une des graves difficultés de notre situation.

— Oh ! oh !

— Sans doute, nous ne pouvons rien demander à Monsieur en ce moment-ci.

— Pourquoi donc ?

— Parce que nous sommes en froid avec lui.

— Chose absurde, articula nettement Malicorne.

— Bah ! Et si nous faisons la cour à Madame, dit Manicamp, est-ce que, franchement, nous pouvons agréer à Monsieur ?

— Justement, si nous faisons la cour à Madame et que nous soyons adroits, nous devons être adorés de Monsieur.

— Hum !

— Ou nous sommes des sots ! Dépêchez-vous donc, monsieur Manicamp, vous qui êtes un grand politique, de raccommoder M. de Guiche avec Son Altesse Royale.

— Voyons, que vous a appris M. de Saint-Aignan, à vous, Malicorne ?

— À moi ? Rien ; il m’a questionné, voilà tout.

— Eh bien, il a été moins discret avec moi.

— Il vous a appris, à vous ?…

— Que le roi est amoureux fou de mademoiselle de La Vallière.

— Nous savions cela, pardieu ! répliqua ironiquement Malicorne, et chacun le crie assez haut pour que tous le sachent ; mais, en attendant, faites, je vous prie, comme je vous conseille : parlez à M. de Guiche, et tâchez d’obtenir de lui qu’il fasse une démarche vers Monsieur. Que diable ! il doit bien cela à Son Altesse Royale.

— Mais il faudrait voir de Guiche.

— Il me semble qu’il n’y a point là une grande difficulté : faites pour le voir, vous, ce que j’ai fait pour vous voir, moi ; attendez-le, vous savez qu’il est promeneur de son naturel.

— Oui, mais où se promène-t-il ?

— La belle demande, par ma foi ! Il est amoureux de Madame, n’est-ce pas ?

— On le dit.

— Eh bien, il se promène du côté des appartements de Madame.

— Eh ! tenez, mon cher Malicorne, vous ne vous trompiez pas, le voici qui vient.

— Et pourquoi voulez-vous que je me trompe ? Avez-vous remarqué que ce soit mon habitude ? Dites. Voyons, il n’est tel que de s’entendre. Voyons, vous avez besoin d’argent ?

— Ah ! fit lamentablement Manicamp.

— Moi, j’ai besoin de mon office. Que Malicorne ait l’office, Malicorne aura de l’argent. Ce n’est pas plus difficile que cela.

— Eh bien, alors, soyez tranquille. Je vais faire de mon mieux.

— Faites.

De Guiche s’avançait ; Malicorne tira de son côté, Manicamp happa de Guiche.

Le comte était rêveur et sombre.

— Dites-moi quelle rime vous cherchez, mon cher comte, dit Manicamp. J’en tiens une excellente pour faire le pendant de la vôtre, surtout si la vôtre est en âme.

De Guiche secoua la tête, et, reconnaissant un ami, il lui prit le bras.