Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourvu qu’on vous paie ce qui a été retenu.

L’hôte salua plus bas.

— Vous m’avez, en outre, continua le voyageur inconnu, gardé la petite chambre que je vous ai demandée ?

— Aïe ! fit Malicorne, en essayant de se dissimuler.

— Monsieur, votre ami l’occupe depuis huit jours, dit l’hôte en montrant Malicorne qui se faisait le plus petit qu’il lui était possible.

Le voyageur, en ramenant son manteau jusqu’à la hauteur de son nez, jeta un coup d’œil rapide sur Malicorne.

— Monsieur n’est pas mon ami, dit-il.

L’hôte fit un bond.

— Je ne connais pas Monsieur, continua le voyageur.

— Comment ! s’écria l’aubergiste s’adressant à Malicorne, comment ! vous n’êtes pas l’ami de Monsieur ?

— Que vous importe, pourvu que l’on vous paie, dit Malicorne parodiant majestueusement l’étranger.

— Il importe si bien, dit l’hôte, qui commençait à s’apercevoir qu’il y avait substitution de personnage, que je vous prie, Monsieur, de vider les lieux retenus d’avance et par un autre que vous.

— Mais enfin, dit Malicorne, Monsieur n’a pas besoin tout à la fois d’une chambre au premier et d’un appartement au second… Si Monsieur prend la chambre, je prends, moi, l’appartement ; si Monsieur choisit l’appartement, je garde la chambre.

— Je suis désespéré, Monsieur, dit le voyageur de sa voix douce ; mais j’ai besoin à la fois de la chambre et de l’appartement.

— Mais enfin pour qui ? demanda Malicorne.

— De l’appartement, pour moi.

— Soit ; mais de la chambre ?

— Regardez, dit le voyageur en étendant la main vers une espèce de cortège qui s’avançait.

Malicorne suivit du regard la direction indiquée et vit arriver sur une civière ce franciscain dont il avait, avec quelques détails ajoutés par lui, raconté à Montalais l’installation dans sa chambre, et qu’il avait si inutilement essayé de convertir à de plus humbles vues.

Le résultat de l’arrivée du voyageur inconnu et du franciscain malade fut l’expulsion de Malicorne, maintenu sans aucun égard hors de l’auberge du Beau-Paon par l’hôte et les paysans qui servaient de porteurs au franciscain.

Il a été donné connaissance au lecteur des suites de cette expulsion, de la conversation de Manicamp, avec Montalais, que Manicamp, plus adroit que Malicorne, avait su trouver pour avoir des nouvelles de de Guiche ; de la conversation subséquente de Montalais avec Malicorne ; enfin du double billet de logement fourni à Manicamp et à Malicorne, par le comte de Saint-Aignan.

Il nous reste à apprendre à nos lecteurs ce qu’étaient le voyageur au manteau, principal locataire du double appartement dont Malicorne avait occupé une portion, et le franciscain, tout aussi mystérieux, dont l’arrivée, combinée avec celle du voyageur au manteau, avait eu le malheur de déranger les combinaisons des deux amis.


CXXVI

UN JÉSUITE DE LA ONZIÈME ANNÉE.


Et d’abord, pour ne point faire languir le lecteur, nous nous hâterons de répondre à la première question.

Le voyageur au manteau rabattu sur le nez était Aramis, qui, après avoir quitté Fouquet et tiré d’un portemanteau ouvert par son laquais un costume complet de cavalier, était sorti du château et s’était rendu à l’hôtellerie du Beau-Paon, où, par lettre, depuis sept jours, il avait bien, ainsi que l’avait annoncé l’hôte, commandé une chambre et un appartement.

Aramis, aussitôt après l’expulsion de Malicorne et de Manicamp, s’approcha du franciscain et lui demanda lequel il préférait de l’appartement ou de la chambre.

Le franciscain demanda où étaient placés l’un et l’autre.

On lui répondit que la chambre était au premier et l’appartement au second.

— Alors, la chambre, dit-il.

Aramis n’insista point, et, avec une entière soumission :

— La chambre, dit-il à l’hôte.

Et, saluant avec respect, il se retira dans l’appartement.

Le franciscain fut aussitôt porté dans la chambre.

Maintenant, n’est-ce pas une chose étonnante que ce respect d’un prélat pour un simple moine, et pour un moine d’un ordre mendiant, auquel on donnait ainsi, sans même qu’il l’eût demandé, une chambre qui faisait l’ambition de tant de voyageurs.

Comment expliquer aussi cette arrivée inattendue d’Aramis à l’hôtel du Beau-Paon, lui qui, entré avec M. Fouquet au château, pouvait loger au château avec M. Fouquet ?

Le franciscain supporta le transport dans l’escalier sans pousser une plainte, quoique l’on vît que sa souffrance était grande, et qu’à chaque heurt de la civière contre la muraille ou contre la rampe de l’escalier, il éprouvait par tout son corps une secousse terrible.

Enfin, lorsqu’il fut arrivé dans la chambre :

— Aidez-moi à me mettre sur ce fauteuil, dit-il aux porteurs.

Ceux-ci déposèrent la civière sur le sol, et, soulevant le plus doucement qu’il leur fut possible le malade, ils le déposèrent sur le fauteuil qu’il avait désigné et qui était placé à la tête du lit.

— Maintenant, ajouta-t-il avec une grande douceur de gestes et de paroles, faites-moi monter l’hôte.

Ils obéirent.

Cinq minutes après, l’hôte du Beau-Paon apparaissait sur le seuil de la porte.