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— C’est toujours bien vous, n’est-ce pas ? dit l’hôte.

— Oui, certes, dit Malicorne.

— Alors, nous sommes d’accord : votre ami soldera le prix de son appartement, et vous solderez le prix du vôtre.

— Je veux être roué vif, se dit en lui-même Malicorne, si je comprends quelque chose à ce qui m’arrive.

Puis, tout haut :

— Et, dites-moi, vous avez été content du nom ?

— De quel nom ?

— Du nom qui terminait la lettre. Il vous a présenté toute garantie ?

— J’allais vous le demander, dit l’hôte.

— Comment ! la lettre n’était pas signée ?

— Non, fit l’hôte en écarquillant des yeux pleins de mystère et de curiosité.

— Alors, répliqua Malicorne imitant ce geste et ce mystère, s’il ne s’est pas nommé…

— Eh bien ?

— Vous comprendrez qu’il doit avoir ses raisons pour cela.

— Sans doute.

— Et que je n’irai pas, moi, son ami, moi, son confident, trahir son incognito.

— C’est juste, Monsieur, répondit l’hôte, aussi je n’insiste pas.

— J’apprécie cette délicatesse. Quant à moi, comme l’a dit mon ami, ma chambre est à part, convenons-en bien.

— Monsieur, c’est tout convenu.

— Vous comprenez, les bons comptes font les bons amis. Comptons donc.

— Ce n’est pas pressé.

— Comptons toujours. Chambre, nourriture, pour moi, place à la mangeoire et nourriture de mon cheval : combien par jour ?

— Quatre livres, Monsieur.

— Cela fait donc douze livres pour les trois jours écoulés ?

— Douze livres ; oui, Monsieur.

— Voici vos douze livres.

— Eh ! Monsieur, à quoi bon payer tout de suite ?

— Parce que, dit Malicorne en baissant la voix et en recourant au mystérieux, puisqu’il voyait le mystérieux réussir ; parce que, si l’on avait à partir soudain, à décamper d’un moment à l’autre, ce serait tout compte fait.

— Monsieur, vous avez raison.

— Donc, je suis chez moi.

— Vous êtes chez vous.

— Eh bien, à la bonne heure. Adieu !

L’hôte se retira.

Resté seul, Malicorne se fit le raisonnement suivant :

— Il n’y a que M. de Guiche ou Manicamp capables d’avoir écrit à mon hôte ; M. de Guiche, parce qu’il veut se ménager un logement hors de cour, en cas de succès ou d’insuccès ; Manicamp, parce qu’il aura été chargé de cette commission par M. de Guiche.

« Voici donc ce que M. de Guiche ou Manicamp auront imaginé : Le grand appartement pour recevoir d’une façon convenable quelque dame épais voilée, avec réserve, pour la susdite dame, d’une double sortie sur une rue à peu près déserte et aboutissant à la forêt.

« La chambre pour abriter momentanément soit Manicamp, confident de M. de Guiche et vigilant gardien de la porte, soit M. de Guiche lui-même, jouant à la fois pour plus de sûreté le rôle du maître et celui du confident.

« Mais cette réunion qui doit avoir lieu, qui a eu effectivement lieu dans l’hôtel ?

« Ce sont sans doute gens qui doivent être présentés au roi.

« Mais le pauvre diable à qui la chambre est destinée ?

« Ruse pour mieux cacher de Guiche ou Manicamp.

« S’il en est ainsi, comme c’est chose probable, il n’y a que demi-mal : et de Manicamp à Malicorne, il n’y a que la bourse. »

Depuis ce raisonnement, Malicorne avait dormi sur les deux oreilles, laissant les sept étrangers occuper et arpenter en tous sens les sept logements de l’hôtellerie du Beau-Paon.

Lorsque rien ne l’inquiétait à la cour, lorsqu’il était las d’excursions et d’inquisitions, las d’écrire des billets que jamais il n’avait l’occasion de remettre à leur adresse, alors il rentrait dans sa bienheureuse petite chambre, et, accoudé sur le balcon garni de capucines et d’œillets palissés, il s’occupait de ces étranges voyageurs pour qui Fontainebleau semblait n’avoir ni lumières, ni joies, ni fêtes.

Cela dura ainsi jusqu’au septième jour, jour que nous avons détaillé longuement avec sa nuit dans les précédents chapitres.

Cette nuit-là, Malicorne prenait le frais à sa fenêtre vers une heure du matin, quand Manicamp parut à cheval, le nez au vent, l’air soucieux et ennuyé.

— Bon ! se dit Malicorne en le reconnaissant du premier coup, voilà mon homme qui vient réclamer son appartement, c’est-à-dire ma chambre.

Et il appela Manicamp.

Manicamp leva la tête, et à son tour reconnut Malicorne.

— Ah ! pardieu ! dit celui-ci en se déridant, soyez le bienvenu, Malicorne. Je rôde dans Fontainebleau, cherchant trois choses que je ne puis trouver : de Guiche, une chambre et une écurie.

— Quant à M. de Guiche, je ne puis vous en donner ni bonnes ni mauvaises nouvelles, car je ne l’ai point vu ; mais, quant à votre chambre et à une écurie, c’est autre chose.

— Ah !

— Oui ; c’est ici qu’elles ont été retenues.

— Retenues, et par qui ?

— Par vous, ce me semble.

— Par moi ?

— N’avez-vous donc point retenu un logement ?

— Pas le moins du monde.

L’hôte, en ce moment, parut sur le seuil.

— Une chambre ? demanda Manicamp.

— L’avez-vous retenue, Monsieur ?

— Non.

— Alors, pas de chambre.

— S’il en est ainsi, j’ai retenu une chambre, dit Manicamp.

— Une chambre ou un logement ?