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été plus loin, moi, que Ris ou Melun, et c’était déjà trop, vous en conviendrez, que onze lieues pour aller et autant pour revenir.

Montalais haussa les épaules.

— Riez tant qu’il vous plaira, Mademoiselle : mais si, au lieu d’être carrément assise sur la tablette d’un mur, comme vous êtes, vous vous trouviez à cheval sur la branche que voici, vous seriez comme Auguste, vous aspireriez à descendre.

— Un peu de patience, mon cher monsieur Manicamp ! un instant est bientôt passé : vous disiez donc que vous aviez dépassé Ris et Melun.

— Oui, j’ai dépassé Ris et Melun ; j’ai continué de marcher, toujours étonné de ne point le voir revenir ; enfin, me voici à Fontainebleau, je m’informe, je m’enquiers partout de de Guiche ; personne ne l’a vu, personne ne lui a parlé dans la ville : il est arrivé au grand galop, est entré dans le château et a disparu. Depuis huit heures du soir, je suis à Fontainebleau, demandant de Guiche à tous les échos ; pas de de Guiche. Je meurs d’inquiétude ! vous comprenez que je n’ai pas été me jeter dans la gueule du loup, en entrant moi-même au château, comme a fait mon imprudent ami ; je suis venu droit aux communs, et je vous ai fait parvenir une lettre. Maintenant, Mademoiselle, au nom du ciel, tirez-moi d’inquiétude.

— Ce ne sera pas difficile, mon cher monsieur Manicamp : votre ami de Guiche a été reçu admirablement.

— Bah !

— Le roi lui a fait fête.

— Le roi, qui l’avait exilé !

— Madame lui a souri ; Monsieur paraît l’aimer plus que devant.

— Ah ! ah ! fit Manicamp, cela m’explique pourquoi et comment il est resté. Et il n’a point parlé de moi ?

— Il n’en a pas dit un mot.

— C’est mal à lui. Que fait-il en ce moment ?

— Selon toute probabilité, il dort, ou, s’il ne dort pas, il rêve.

— Et qu’a-t-on fait pendant toute la soirée ?

— On a dansé.

— Le fameux ballet ? Comment a été de Guiche ?

— Superbe.

— Ce cher ami ! Maintenant, pardon, Mademoiselle, mais il me reste à passer de chez moi chez vous.

— Comment cela ?

— Vous comprenez : je ne présume pas que l’on m’ouvre la porte du château à cette heure, et, quant à coucher sur cette branche, je le voudrais bien, mais je déclare la chose impossible à tout autre animal qu’un papegai.

— Mais moi, monsieur Manicamp, je ne puis pas comme cela introduire un homme par-dessus un mur ?

— Deux, Mademoiselle, dit une seconde voix, mais avec un accent si timide, que l’on comprenait que son propriétaire sentait toute l’inconvenance d’une pareille demande.

— Bon Dieu ! s’écria Montalais essayant de plonger son regard jusqu’au pied du marronnier ; qui me parle ?

— Moi, Mademoiselle.

— Qui vous ?

— Malicorne, votre très-humble serviteur.

Et Malicorne, tout en disant ces paroles, se hissa de la tête aux premières branches, et des premières branches à la hauteur du mur.

— M. Malicorne !… Bonté divine ! mais vous êtes enragés tous deux !

— Comment vous portez-vous, Mademoiselle ? demanda Malicorne avec force civilités.

— Celui-là me manquait ! s’écria Montalais désespérée.

— Oh ! Mademoiselle, murmura Malicorne, ne soyez pas si rude, je vous en supplie !

— Enfin, Mademoiselle, dit Manicamp, nous sommes vos amis, et l’on ne peut désirer la mort de ses amis. Or, nous laisser passer la nuit où nous sommes, c’est nous condamner à mort.

— Oh ! fit Montalais, M. Malicorne est robuste, et il ne mourra pas pour une nuit passée à la belle étoile.

— Mademoiselle !

— Ce sera une juste punition de son escapade.

— Soit ! Que Malicorne s’arrange donc comme il voudra avec vous ; moi, je passe, dit Manicamp.

Et, courbant cette fameuse branche contre laquelle il avait porté des plaintes si amères, il finit, en s’aidant de ses mains et de ses pieds, par s’asseoir côte à côte de Montalais.

Montalais voulut repousser Manicamp, Manicamp chercha à se maintenir.

Ce conflit, qui dura quelques secondes, eut son côté pittoresque, côté auquel l’œil de M. de Saint-Aignan trouva certainement son compte.

Mais Manicamp l’emporta. Maître de l’échelle, il y posa le pied, puis il offrit galamment la main à son ennemie.

Pendant ce temps, Malicorne s’installait dans le marronnier, à la place qu’avait occupée Manicamp, se promettant en lui-même de lui succéder en celle qu’il occupait.

Manicamp et Montalais descendirent quelques échelons, Manicamp insistant, Montalais riant et se défendant.

On entendit alors la voix de Malicorne qui suppliait.

— Mademoiselle, disait Malicorne, ne m’abandonnez pas, je vous en supplie ! Ma position est fausse, et je ne puis sans accident parvenir seul de l’autre côté du mur ; que Manicamp déchire ses habits, très-bien : il a ceux de M. de Guiche ; mais, moi, je n’aurai pas même ceux de Manicamp, puisqu’ils seront déchirés.

— M’est avis, dit Manicamp, sans s’occuper des lamentations de Malicorne, m’est avis que le mieux est que j’aille trouver de Guiche à l’instant même. Plus tard peut-être ne pourrais-je plus pénétrer chez lui.

— C’est mon avis aussi, répliqua Montalais ; allez donc, monsieur Manicamp.

— Mille grâces ! Au revoir, Mademoiselle, dit Manicamp en sautant à terre, on n’est pas plus aimable que vous.