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— Tu dis ce oui comme un non. Elle a des yeux noirs fort beaux, ce me semble.

— Petits.

— C’est vrai, mais brillants. Elle est d’une taille avantageuse.

— La taille est un peu gâtée, Monseigneur.

— Je ne dis pas non. L’air est noble.

— Mais le visage est maigre.

— Les dents m’ont paru admirables.

— On les voit. La bouche est assez grande. Dieu merci ! Décidément, Monseigneur, j’avais tort ; vous êtes plus beau que votre femme.

— Et trouves-tu aussi que je sois plus beau que Buckingham ? Dis.

— Oh ! oui, et il le sent bien, allez ; car, voyez-le, il redouble de soins près de Madame pour que vous ne l’effaciez pas.

Monsieur fit un mouvement d’impatience ; mais, comme il vit un sourire de triomphe passer sur les lèvres du chevalier, il remit son cheval au pas.

— Au fait, dit-il, pourquoi m’occuperais-je plus longtemps de ma cousine ? Est-ce que je ne la connais pas ? est-ce que je n’ai pas été élevé avec elle ? est-ce que je ne l’ai pas vue tout enfant au Louvre ?

— Ah ! pardon, mon prince, il y a un changement d’opéré en elle, fit le chevalier. À cette époque dont vous parlez, elle était un peu moins brillante, et surtout beaucoup moins fière ; ce soir surtout, vous en souvient-il, Monseigneur ? où le roi ne voulait pas danser avec elle, parce qu’il la trouvait laide et mal vêtue ?

Ces mots firent froncer le sourcil au duc d’Orléans. Il était, en effet, assez peu flatteur pour lui d’épouser une princesse dont le roi n’avait pas fait grand cas dans sa jeunesse.

Peut-être allait-il répondre, mais en ce moment de Guiche quittait le carrosse pour se rapprocher du prince.

De loin, il avait vu le prince et le chevalier, et il semblait, l’oreille inquiète, chercher à deviner les paroles qui venaient d’être échangées entre Monsieur et son favori.

Ce dernier, soit perfidie, soit imprudence, ne prit pas la peine de dissimuler.

— Comte, dit-il, vous êtes de bon goût.

— Merci du compliment, répondit de Guiche ; mais à quel propos me dites vous cela ?

— Dame ! j’en appelle à Son Altesse.

— Sans doute, dit Monsieur, et Guiche sait bien que je pense qu’il est parfait cavalier.

— Ceci posé, je reprends, comte ; vous êtes auprès de Madame depuis huit jours, n’est-ce pas ?

— Sans doute, répondit de Guiche rougissant malgré lui.

— Et bien ! dites-nous franchement ce que vous pensez de sa personne ?

— De sa personne ? reprit de Guiche stupéfait.

— Oui, de sa personne, de son esprit, d’elle, enfin…

Étourdi de cette question, de Guiche hésita à répondre.

— Allons donc ! allons donc, de Guiche ! reprit le chevalier en riant, dis ce que tu penses, sois franc : Monsieur l’ordonne.

— Oui, oui, sois franc, dit le prince.

De Guiche balbutia quelques mots inintelligibles.

— Je sais bien que c’est délicat, reprit Monsieur ; mais, enfin, tu sais qu’on peut tout me dire, à moi. Comment la trouves-tu ?

Pour cacher ce qui se passait en lui, de Guiche eut recours à la seule défense qui soit au pouvoir de l’homme surpris : il mentit.

— Je ne trouve Madame, dit-il, ni bien ni mal, mais cependant mieux que mal.

— Eh ! cher comte, s’écria le chevalier, vous qui aviez fait tant d’extases et de cris à la vue de son portrait !

De Guiche rougit jusqu’aux oreilles. Heureusement son cheval un peu vif lui servit, par un écart, à dissimuler cette rougeur.

— Le portrait !… murmura-t-il en se rapprochant, quel portrait ?

Le chevalier ne l’avait pas quitté du regard.

— Oui, le portrait. La miniature n’était-elle donc pas ressemblante ?

— Je ne sais. J’ai oublié ce portrait ; il s’est effacé de mon esprit.

— Il avait fait pourtant sur vous une bien vive impression, dit le chevalier.

— C’est possible.

— A-t-elle de l’esprit, au moins ? demanda le duc.

— Je le crois, Monseigneur.

— Et M. de Buckingham, en a-t-il ? dit le chevalier.

— Je ne sais.

— Moi, je suis d’avis qu’il en a, répliqua le chevalier, car il fait rire Madame, et elle paraît prendre beaucoup de plaisir en sa société, ce qui n’arrive jamais à une femme d’esprit quand elle se trouve dans la compagnie d’un sot.

— Alors c’est qu’il a de l’esprit, dit naïvement de Guiche, au secours duquel Raoul arriva soudain, le voyant aux prises avec ce dangereux interlocuteur, dont il s’empara et qu’il força ainsi de changer d’entretien.

L’entrée se fit brillante et joyeuse. Le roi, pour fêter son frère, avait ordonné que les choses fussent magnifiquement traitées. Madame et sa mère descendirent au Louvre, à ce Louvre où, pendant les temps d’exil, elles avaient supporté si douloureusement l’obscurité, la misère, les privations.

Ce palais inhospitalier pour la malheureuse fille de Henri IV, ces murs nus, ces parquets effondrés, ces plafonds tapissés de toiles d’araignées, ces vastes cheminées aux marbres écornés, ces âtres froids que l’aumône du parlement avait à peine réchauffés pour elles, tout avait changé de face.

Tentures splendides, tapis épais, dalles reluisantes, peintures fraîches aux larges bordures d’or ; partout des candélabres, des glaces, des meubles somptueux ; partout des gardes aux fières tournures, aux panaches flottants, un peuple de valets et de courtisans dans les antichambres et sur les escaliers.

Dans ces cours où naguère l’herbe poussait encore, comme si cet ingrat Mazarin eût jugé bon de prouver aux Parisiens que la solitude et le désordre devaient être, avec la misère et le