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– Ah ! ah ! fit Thibault, il paraît que le baiser du seigneur Jean vous a tout affolée, la belle Agnelette ?

– Je n’eusse jamais pensé que ce baiser-là, ce serait vous qui me le reprocheriez, monsieur Thibault ; mais ce que j’ai dit, je le soutiens : le seigneur Jean était dans son droit.

– En me faisant rouer de coups ?

– Dame ! pourquoi chassez-vous sur les terres des grands seigneurs ?

– Est-ce que le gibier n’est pas à tout le monde, aussi bien aux paysans qu’aux grands seigneurs ?

– Non ; car le gibier se tient dans leurs bois, se nourrit de leur herbe, et vous n’avez pas le droit de lancer votre épieu sur un daim de monseigneur le duc d’Orléans.

– Qui donc vous a dit que j’eusse lancé mon épieu sur son daim ? répondit Thibault en s’avançant sur Agnelette d’un air presque menaçant.

– Qui me l’a dit ? Mes yeux, qui, je vous en préviens, monsieur Thibault, ne sont pas des menteurs. Oui, je vous ai vu lancer votre épieu, là, lorsque vous étiez caché derrière ce hêtre.

L’assurance avec laquelle la jeune fille opposait la vérité à son mensonge fit incontinent tomber la colère de Thibault.

– Eh bien, après tout, dit-il, quand une fois, par hasard, un pauvre diable ferait bonne chère avec le superflu d’un grand seigneur ! Êtes-vous aussi de l’avis des juges, mademoiselle Agnelette, qui disent que l’on doit pendre un homme pour un malheureux lapin ? Voyons, pensez-vous que le Bon Dieu avait créé ce daim plutôt pour le baron Jean que pour moi ?

– Le Bon Dieu, monsieur Thibault, nous a dit de ne pas convoiter le bien d’autrui ; suivez la loi du Bon Dieu, et vous ne vous en trouverez pas plus mal !