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pas faire : il a pris la jeune fille pauvre ; il s’est chargé de la vieille femme aveugle ; il a assuré un nom à l’une, du pain à l’autre ; il n’a pas ambitionné plus que mon amour, il n’a voulu de richesse que mon serment ; pouvez-vous demander que je lui rende le mal pour le bien ? Oseriez-vous me dire qu’il faut que je quitte celui qui m’a donné la preuve de son amour pour celui qui ne m’a jamais donné que la preuve de son indifférence ?

– Mais, puisque tu ne l’aimes pas, puisque c’est moi que tu aimes, que t’importe, Agnelette ?

– Thibault, ne torturez pas mes paroles pour y trouver ce qu’elles ne disent pas. Je vous ai parlé de l’amitié que je conservais pour vous, mais je ne vous ai point dit que je n’aimais pas mon mari. Je voudrais vous voir heureux, mon ami, je voudrais surtout vous voir abjurer vos erreurs, vous repentir de vos crimes ; je voudrais enfin que, pour vous arracher à cet esprit du mal dont vous parliez tout à l’heure, Dieu vous prît en miséricorde. Je le lui demande à genoux soir et matin dans mes prières. Mais, pour que je puisse prier pour vous, Thibault, il faut que je reste pure ; pour que la voix qui demande grâce monte jusqu’au trône du Seigneur, il faut que cette voix soit innocente ; il faut enfin que je garde scrupuleusement la foi que j’ai jurée au pied de son autel.

Thibault, en entendant parler Agnelette avec cette fermeté, redevint sombre et farouche.

– Savez-vous que c’est bien imprudent, ce que vous me dites là, Agnelette ?

– Pourquoi cela, Thibault ? demanda la jeune femme.

– Nous sommes seuls ici : il fait nuit, et à cette heure il n’est point un homme de la plaine qui ose entrer dans la forêt. Sais-tu, Agnelette, que le roi n’est