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heures que lui, Thibault, était Raoul et que Raoul était Thibault.

Au dernier tintement de neuf heures, le sabotier sentit toute cette fièvre qui s’éloignait de lui ; une sensation de refroidissement qui allait jusqu’au tremblement lui succéda.

Il ouvrit les yeux en grelottant, reconnut le curé à genoux et disant au pied de son lit la prière des agonisants, et la vraie pendule marquant neuf heures un quart.

Seulement, ses sens avaient acquis une telle subtilité, qu’il voyait, si insensible que fût en réalité leur double mouvement, marcher la grande et même la petite aiguille.

Toutes deux s’acheminaient vers l’heure fatale :

Neuf heures et demie !

Quoique aucune lumière ne donnât sur le cadran, il semblait illuminé par une lumière intérieure.

Au fur et à mesure que la grande aiguille marchait vers le no 6, un spasme de plus en plus violent serrait la poitrine du moribond.

Ses pieds étaient glacés, et le froid montait lentement, mais sans s’arrêter, des pieds aux genoux, des genoux aux cuisses, des cuisses aux entrailles.

La sueur lui coulait sur le front.

Il n’avait pas la force de l’essuyer ni même de demander qu’on l’essuyât.

Il sentait que c’était la sueur d’une angoisse qui, de moment en moment, devenait la sueur de l’agonie.

Toutes sortes de formes bizarres et qui n’avaient rien d’humain flottaient devant ses yeux.

La lumière se décomposait.

Il lui semblait que des ailes de chauves-souris soulevaient son corps et l’emportaient dans un crépuscule qui n’était ni la vie ni la mort, et participait des deux.