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Thibault se rappela alors le vœu que le coup de cravache et le choc du cheval lui avaient fait formuler dans un moment de colère.

Il avait, pour vingt-quatre heures, désiré être le baron de Vauparfond et que le baron de Vauparfond fût Thibault pour le même espace de temps.

Cela lui expliquait ce qui, au premier abord, lui avait paru inexplicable, c’est-à-dire que ce corps évanoui, qui était couché en travers de la route, fût vêtu de ses habits et orné de son visage.

– Peste ! dit-il, faisons attention à une chose ; c’est que j’ai l’air d’être ici, mais qu’en réalité je ne suis pas ici, mais là-bas. Prenons garde que, pendant les vingt-quatre heures où j’ai l’imprudence de me quitter, il ne m’arrive quelque irréparable malheur. Allons, allons, pas tant de répugnance, monsieur de Vauparfond ; transportons ici le pauvre Thibault et couchons-le moelleusement sur son lit.

Et, en effet, quoique dans ses sentiments aristocratiques, M. de Vauparfond répugnât à ce petit travail, Thibault se prit bravement entre ses bras et se transporta de la route sur son lit.

Bien posé sur ce lit, Thibault souffla sa lampe, de peur que, dans son évanouissement, il n’arrivât malheur à cet autre lui-même : puis, refermant la porte avec soin, il en cacha la clef dans le creux d’un arbre où il avait coutume de la mettre quand il ne voulait point la transporter avec lui.

Après quoi, il attrapa son cheval par la bride et monta dessus. Le premier moment fut à l’inquiétude.

Thibault, qui avait beaucoup plus voyagé à pied qu’à cheval, n’était point un écuyer consommé.

Il craignait donc de ne point conserver bien exactement son centre de gravité au milieu des mouvements qu’allait exécuter sa monture.