Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Champagne comprit avec la rapidité d’intuition d’un laquais de bonne maison, et monta. Il était, comme son compagnon, vêtu d’une redingote couleur de muraille. Il apportait la lettre.

– Eh bien, demanda François à Champagne en voyant dans ses mains la lettre de la comtesse de Mont-Gobert, y a-t-il rendez-vous pour ce soir ?

– Oui, répondit joyeusement Champagne.

– Tant mieux, répondit allègrement François.

Cette communion de bonheur entre les laquais et le maître étonna Thibault.

– Est-ce donc la bonne fortune de votre maître qui vous rend si joyeux ? demanda-t-il à François.

– Non pas ; mais, quand M. le baron Raoul de Vauparfond est occupé, moi je suis libre !

– Oui, et tu profites de ta liberté ?

– Dame ! fit François en se rengorgeant, on a ses bonnes fortunes aussi, tout valet de chambre que l’on est, et l’on emploiera son temps tant bien que mal.

– Et vous, Champagne ?

– Moi, répondit le nouveau venu en mirant au jour le rubis liquide de son vin, moi, j’espère bien ne pas perdre le mien.

– Allons, allons, à vos amours ! dit Thibault, puisque tout le monde a ses amours.

– Aux vôtres ! répondirent en chœur les deux laquais.

– Oh ! moi, dit le sabotier avec une expression de profonde haine contre le genre humain, moi, je suis le seul qui n’aime personne et que personne n’aime.

Les deux hommes regardèrent Thibault avec un certain étonnement.

– Oh ! oh ! dit François, est-ce que ce serait vrai, ce que l’on dit de vous, tout bas, dans le pays ?