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– Le berger en a bu la moitié.

– Je comprends l’ordonnance, alors. Et le bol de vin chaud n’a rien fait ?

– Non, général. Elle est venue piétiner cette nuit-là sur ma poitrine comme si je n’avais absolument rien pris.

– Et qu’as-tu fait encore ? Car tu ne t’es pas borné, je présume, à ton bol de vin chaud ?

– J’ai fait ce que je fais quand je veux prendre une bête fausse.

Mocquet avait une phraséologie qui lui était particulière ; jamais on n’avait pu lui faire dire une bête fauve ; toutes les fois que mon père disait : « Une bête fauve », Mocquet reprenait : « Oui, général, une bête fausse. »

– Tu tiens donc à ta bête fausse ? avait dit une fois mon père.

– J’y tiens, non pas par entêtement, mon général.

– Et pourquoi donc y tiens-tu, alors ?

– Parce que, sauf votre respect, mon général, vous vous trompez.

– Comment ! je me trompe ?

– Oui, l’on ne dit pas une bête fauve, on dit une bête fausse.

– Et que veut dire une bête fausse, Mocquet ?

– Cela veut dire une bête qui ne va que la nuit ; ça veut dire une bête qui se glisse dans les pigeonniers, pour étrangler les pigeons, comme les fouines ; dans les poulaillers pour étrangler les poules, comme les renards ; dans les bergeries pour étrangler les moutons, comme les loups ; ça veut dire une bête qui trompe, une bête fausse, enfin.

La définition était si logique, qu’il n’y avait rien à répondre.

Aussi mon père ne répondit-il rien, et Mocquet,