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– Dieu me damne ! dit-il en allant à lui, je ne me trompe pas, et c’est ma vieille connaissance, l’homme à l’épieu !

– Comment ! l’homme à l’épieu ? demanda le bailli en claquant des mâchoires ; j’espère, en tout cas, qu’il n’a pas son épieu avec lui !

Et il alla chercher un refuge derrière sa femme.

– Non, non, tranquillisez-vous, dit le seigneur Jean ; d’ailleurs, s’il a son épieu, je me charge de le lui tirer des mains.

– Ah ! monsieur le braconnier, continua-t-il s’adressant à Thibault, vous ne vous contentez donc pas de chasser les chevreuils de monseigneur le duc d’Orléans dans la forêt de Villers-Cotterêts : vous faites des excursions dans la plaine et vous venez chasser sur les terres de mon compère le bailli Magloire ?

– Comment ! un braconnier ? demanda le bailli. Maître Thibault n’est-il donc pas un honnête propriétaire de métairies, vivant dans son logis champêtre du produit d’une centaine d’arpents de terre ?

– Lui ! dit le seigneur Jean en éclatant de rire ; il vous a fait accroire cela, à ce qu’il paraît. Ah ! le drôle a la langue dorée. Lui ! un propriétaire ! ce claque-dent ! Mais, ses propriétés, mes garçons d’écurie les ont aux pieds ; ce sont les sabots qu’il fabrique.

Dame Suzanne, en entendant spécifier la qualité de Thibault, fit une moue dédaigneuse.

Maître Magloire se recula d’un pas et rougit.

Ce n’était point que le brave petit bonhomme fût fier. Non, mais il haïssait la tromperie.

Ce n’était point d’avoir trinqué avec un sabotier qu’il rougissait : c’était d’avoir bu avec un menteur et un traître.

Thibault avait supporté toute cette avalanche d’injures les bras croisés et le sourire sur les lèvres.